J’ai commencé par trouver le débat d’hier soir éprouvant.
Quand je pense qu’il a failli y en avoir trois… Mais, petit à petit, j’en suis venu à me demander si François Hollande ne nous donnait pas une extraordinaire leçon
de rhétorique. Quand ça l’arrangeait (l’approximation), il exploitait les
règles du jeu de Nicolas Sarkozy. Le reste du temps, il entraînait son
adversaire sur son propre terrain (l’élite républicaine et le cancre).
Leçon de rhétorique
Je n’avais pas compris le programme de François Hollande jusque-là. En fait, il
est brillamment populiste. Il donne beaucoup, tout de suite, à la masse des votants, aux parents d'élèves, aux enseignants, aux Smicards. Et même au
FN. Car, si le votant FN est effectivement un mal loti qui doit faire de grands
trajets en voiture, bloquer le prix de l’essence est une mesure (politiquement)
redoutablement habile. Et, en plus, il veut augmenter le nombre de policiers !
Comment finance-t-il ces mesures ? Il se lance dans une
argumentation à la Sarkozy. Les milliards valsent, on n’y comprend rien, mais
il en ressort qu’il va donner aux pauvres ce que Sarkozy a donné au riche,
chacun ses choix !
Curieusement, N.Sarkozy n’a rien à nous promettre, sinon se serrer la ceinture. Il apparaît comme l’homme
de la rigueur, du sérieux. Seul engagement : réduire l’immigration. Mais, comment
peut-il tenir parole alors que, même en ce qui concerne l’immigration,
il est la cause de la situation actuelle ? lui répond Hollande. Destructeur.
Même pas besoin de dire que l’immigration c’est bien, puisque vous en aurez
autant, voire plus, avec lui qu’avec moi !
Car c’était l’art du discours qui était le plus étonnant.
La force de Sarkozy est d’être grossier (« vous mentez »), ce qui
fait perdre tout contrôle de soi à son adversaire, qui se ridiculise. Hollande
n’a pas répondu. Il s’est placé en victime. Et il a attaqué par surprise. Avec
des résultats dévastateurs, notamment au moment où il fait « avouer » à Nicolas
Sarkozy qu’il n’était pas content des résultats de son mandat. Surtout, il a joué
la rigueur intellectuelle outragée, et a mis Sarkozy face à des approximations
qui sont apparues inquiétantes. À un moment, je m’attendais à ce qu’il lui dise :
mais vous devriez le savoir, c’est vous le président de la république ! L’inspecteur
des finances, meilleur élève de la classe, qui connaît parfaitement ses
dossiers, faisait un cours à un esprit médiocre et approximatif. Nouvelle
surprise, car grosse erreur technique, au lieu de refuser le combat, Nicolas
Sarkozy se prend dans la logique de son adversaire, est contraint à se
défendre, et perd le temps qu’il aurait dû consacrer à son programme.
Qu’en conclure ?
Victoire de la raison
sur l’intuition ?
Nicolas Sarkozy est formidablement doué, mais il ne sait pas
pourquoi il fait ce qu’il fait. Du coup, il commet des erreurs. François
Hollande a sûrement aussi des talents, mais, avant tout, il a compris que le
débat était une technique.
Nicolas Sarkozy a probablement commis une erreur encore plus
grave. Il a cru ce dont il nous avait convaincu, à savoir que M.Hollande était
un faible sans programme, facile à mettre en pièces. Du coup, il n’a pas
préparé correctement la rencontre. C’était d’autant plus idiot que M.Hollande
et M.Sarkozy ont déjà débattu ensemble de nombreuses fois et que le second n’a
jamais surclassé le premier. Sous-estimer son adversaire est une erreur fatale.
Victoire du Yin sur
le Yang ?
J’ai songé à un film de samouraïs vu il y a longtemps. Un
grand escrimeur raconte que jeune il avait trouvé une combine
pour gagner son riz : il entrait dans une école de sabre, y défiait le maître,
ce qui lui donnait droit à un repas. Un jour, il rencontre un des maîtres les
plus prestigieux du Japon. Or, au moment d’engager le combat, le maître tombe à
genoux. Il a vu dans les yeux du jeune homme qu’il n’avait pas peur.
Et si, en dépit de toute sa gesticulation, M.Sarkozy était
parti perdant ? Et si M.Hollande avait un mental de vainqueur ? Et si M.Sarkozy avait trouvé son maître ?