Duo de moto, elles se garaient chaque jour sous le porche de cet immeuble parisien, après leur parcours dans les entrelacs de la circulation. Cavalières courageuses dans une foule de voitures, entre les règles établies et les variations plus vindicatives de certains, déboitant sans regarder leurs rétroviseurs, elles s’étaient habituées depuis deux ans à venir à deux roues jusqu’au travail. Une décision commune, en échangeant un midi entre deux salades, sur leur passion pour les balades en toutes saisons. Chacune avait son histoire, l’une sa passion pure du deux roues dans un fratrie de quatre garçons, tout le monde roulait avec casque depuis l’adolescence, une odeur de week-end, de sorties en totale liberté, comme ses frères. L’autre un papa passionné, qui après le divorce avait pris l’habitude de la coller à son dos, petite, fragile dans les virages jusqu’à l’école, durant les vacances parfois. Elles avaient aimé cette sensation de l’air sur leur visage, sur leur corps, la vitesse et aussi ce contact si particulier avec l’environnement. Certes sur le macadam des villes, elles roulaient entre deux murs de béton ou de voitures, mais la liberté commençait aux portes du périphérique, vers la banlieue, vers la province.
Un achat en commun de leurs motos, une visite surprenante de ce duo féminin dans un magasin au masculin, elles avaient ri de l’attitude du vendeur, moins calé qu’elles en mécanique, elles avaient négocié ferme.
Maintenant elles posaient les casques, remontaient vers leurs bureaux via l’ascenseur. Chacune dans un bureau, elles se changeaient. Les combinaisons tombaient, se pliaient, le blouson de cuir prenait place sur un cintre. Chacune un style.
L’une remettait d’un geste ces cheveux courts en place, en regardant à travers la vitre, un œil sur l’autre immeuble. Elle ajustait son jean, ses bottines en cuir noir, un pull en laine souple, une écharpe double autour du cou, elle aimait son confort.
L’autre était partie dans les toilettes pour refaire son maquillage, une brosse pour ses cheveux blonds mi-longs. Elle devenait femme, sa féminité s’exposait avec son chemisier, blanc aujourd’hui, un collier qui partait dans de longues échappées sur sa volupté. Puis cette jupe qu’elle avait déplié de son sac, une jupe crayon prune, une coupe si proche d’elle, de ses jambes fines. Elle ajustait la fermeture éclair invisible sous la ceinture, un modèle hermès si chic, si indémodable. Elle avait remis ses bas chairs, doucement brillant pour attirer le soleil. Maintenant elle enfilait ses talons vernis noirs, loin de ses bottes de moto. Elle prenait de la hauteur, une démarche plus féminine, elle aimait cette dualité qui avait surpris tant d’hommes.
Dans quelques minutes, elles parleraient moto, mode et boulot en prenant le premier café du jour, dans le bureau, chacune à sa tâche.
Nylonement