Deux ans après avoir reçu le prix Nicolas Bouvier, du nom d’un extraordinaire écrivain voyageur, EnSibérie, de Colin Thubron, est réédité en poche. Après quelques mois en Sibérie, l’auteur écrit qu’elle « avait été plus facile à définir avant que je ne la parcoure. » En effet, le voyageur qui pouvait s’en être fait une idée simple avant de s’y rendre doit se rendre à l’évidence : surprises et contrastes sont au rendez-vous. L’écrivain y est allé contre son gré, « ébranlé par le soudain basculement qui avait ouvert un vaste pan du monde interdit. L’immensité de la Sibérie avait jeté son ombre sur tous mes voyages en Asie. Si bien que l’intérêt détaché du début – le coup d’œil furtif sur un atlas – s’était fait plus pressant, plus profond, au point que ce désert avait fini par me sembler davantage oublié que vide, comme s’il avait été griffonné à l’encre sympathique. Et, insidieusement, il avait commencé à me contaminer. » Pas beaucoup plus d’explications. On entre d’un bloc dans un voyage dont on ne sortira pas vraiment. Puisqu’il ne semble ni nécessaire ni même peut-être possible, à la fin, de tirer une conclusion. On restera avec l’image d’un homme qui chante sur un flanc de colline gelé, dans la région de la Kolyma.Il y a longtemps que la Sibérie a été désignée comme lieu d’exil de tous les exclus de la société. En même temps, il fallait peupler cet immense espace pour en exploiter les richesses. Les déportés ont donc été de plus en plus nombreux, certains parfois presque volontaires, à affronter un climat et, plus généralement, des conditions de vie qui les conduisaient rapidement à la mort. Le froid est présent, bien sûr. Pas seulement : les industries d’extraction ont créé une telle pollution que l’homme ne pouvait guère y résister.Dostoïevski, Chalamov, Soljenitsyne, d’autres écrivains ont rapporté de Sibérie des livres hallucinants. C’est un peu sur leurs traces que Colin Thubron est parti, et pour rencontrer ceux qui, aujourd’hui, vivent encore là.Quelques-uns dans l’illusion d’un développement qui avait été programmé, que le Transsibérien devait permettre de toucher. De grandes avenues, dans certaines villes, attendaient des cohortes de voitures qui ne sont jamais venues. Et puis, de toute manière, il n’y a quelquefois pas d’essence à trouver…Bien d’autres, la plupart, ont perdu toute illusion depuis longtemps. Ils se sont réfugiés dans une sorte de folie qui ne dit pas son nom et qui tient, au moins, à des obsessions maniaques. La survie d’une religion, la quête des traces des premiers hommes, des forces mystérieuses. L’alcool, aussi.Colin Thubron a déjà écrit quelques ouvrages marquants où la littérature de voyage montre ce qu’elle a de meilleur. L’ombre de la route de la Soie, par exemple. En Sibérie confirme sa capacité à trouver, en terre inhospitalière, des éclats d’humanité aussi brillants que les lames de mica qu’il avait ramassées et qui tomberont d’une poche après son retour à Londres.Et il publie cette année DestinationKailash. Il n’en a pas fini avec les voyages…