Jérôme Pellistrandi m'envoie ce texte : et l'arme des transmissions mérite, en effet, un hommage appuyé.
En mai 1942, le Secrétaire d’Etat à la Guerre, le Général Bridoux signait le décret portant création de l’Arme des Transmissions à partir des formations et unités du génie spécialisées dans les transmissions. Cette décision était une conséquence directe de l’analyse des causes de la défaite de mai-juin 1940, où la problématique de la transmission du renseignement et des ordres sur le champ de bataille avait accéléré la désorganisation du commandement. Arme certes récente, mais mission aussi vieille que l’art de la guerre lui-même. En effet, le courage du guerrier et l’intelligence du chef ne suffisent pas à gagner, s’ils ne peuvent pas communiquer entre eux et c’est bien là le défi permanent du transmetteur, hier comme demain.
Jusqu’à la Révolution française, transmettre un ordre ou un renseignement a obéi aux mêmes méthodes issues de la plus haute Antiquité. Le messager se déplace à pied ou à cheval, transportant ainsi le courrier. Au mieux, le pigeon voyageur permettait de franchir de grandes distances en toute discrétion. Sur le champ de bataille, trompettes et tambours donnaient le rythme du combat et transmettaient les ordres. La préservation du secret était aussi une préoccupation permanente avec l’emploi de codes secrets préfigurant la cryptologie.
Mais l’obsession, au cours de ces siècles, restait de raccourcir les distances et le temps. Avant la révolution industrielle du 19° siècle, un courrier de l’Empereur mettait environ huit jours pour aller de Paris à Naples, à la vitesse d’un cheval au galop. Et pour traverser les océans , la durée se compte en semaines, voire en mois.
La révolution technologique est fille du Siècle des Lumières avec le premier progrès majeur que constituât le télégraphe optique développé par Claude Chappe et qui fut utilisé opérationnellement de 1794 à 1855 . L’information commençait enfin à s’accélérer.
La révolution industrielle voit alors la mise au point progressive, à partir des années 1830, de la télégraphie électrique qui permet, grâce à l’ingéniosité de l’alphabet morse, dès lors la quasi instantanéité de la transmission. Le télégraphe morse, la machine à vapeur avec le chemin de fer et les navires transforment alors radicalement la géographie mondiale et deviennent très vite des outils utilisés par les militaires. Ainsi, l’usage militaire de la télégraphie s’est très vite imposé, dès la Guerre de Crimée (1853-1856). Durant la Guerre de Sécession puis la guerre de 1870-1871, le télégraphe est utilisé abondamment par les camps nordistes et sudistes puis ultérieurement par les troupes de l’empereur Guillaume contre les armées françaises, en retard sur l’emploi tactique de ces nouvelles technologies.
A la fin du 19° siècle, une nouvelle aventure technologique et opérationnelle s’ouvre avec les pionniers de la Télégraphie Sans Fil –la TSF, ou radio-. Marconi, Branly et Ferrié en sont les pionniers. La projection d’émetteurs radio dans les Antilles à la suite de l’éruption de la Montagne Pelée en mai 1902, ou le naufrage du Titanic dans la nuit du 14 au 15 avril 1912 illustrent dramatiquement l’apport de la TSF. A Paris, le Capitaine Ferrié sauve la Tour Eiffel –alors promise au démontage- en la transformant en une gigantesque antenne radio.
sourceEn 1913, la création du 8° Régiment du Génie au Mont Valérien marque une nouvelle étape. Le 8 se couvrira de gloire sur tous les champs de bataille de la première guerre mondiale, permettant au commandement français d’avoir tout le temps des liaisons fiables avec les unités au front, y compris lors des offensives allemandes comme à Verdun en février 1916 ou au printemps 1918. A l’issue de la Grande Guerre, les transmissions françaises sont les plus modernes, assurant à la fois, la téléphonie, la télégraphie, la radio, le cryptage et les prémices de la guerre électronique avec l’écoute, la localisation et le déchiffrement des communications allemandes.
Hélas, malgré les efforts consentis et la notoriété du Général Ferrié , les transmissions militaires furent peu à peu négligées au cours de l’entre-deux-guerres. Toutefois, durant cette période, l’essor de la radiodiffusion amène une nouvelle pratique médiatique et les postes de TSF commencent à se répandre dans les foyers les plus aisés. A la fin des années trente, ce n’est plus la voix et la musique que l’on peut recevoir mais bien l’image avec le tout début de la télévision .
Négligeant l’apport de la radio dans la guerre de mouvement, l’armée de terre s’engage dans la guerre le 1° septembre 1939 avec du matériel obsolète et une doctrine transmissions hors d’âge, refusant l’emploi de la radio sur les chars notamment. Seules les installations de télécommunications de la Ligne Maginot sont modernes et efficaces. Dès la défaite de juin 1940, le commandement de l’armée d’armistice, dans un effort de lucidité aujourd’hui oublié, s’efforce d’analyser les causes de l’échec militaire et d’en tirer les conséquences. Est alors identifiée la lacune des télécommunications terrestres tactiques, aboutissant dès lors à la création de l’Arme des transmissions. Simultanément, des officiers et ingénieurs comme les commandants Labat et Leschi s’engagent sans hésitation dans la Résistance en mettant en place notamment une écoute systématique des réseaux de l’occupant allemand, permettant alors de transmettre de précieuses informations aux Alliés.
Après l’invasion de la Zone sud par les nazis en novembre 1942, la renaissance de l’armée française se poursuit désormais en Afrique du Nord. Les Transmissions s’organisent sous l’impulsion du Colonel Merlin. Celui-ci va faire appel aux jeunes volontaires féminines pour tenir les postes dans les centres de transmissions afin de combler les déficits en effectifs masculins. Environ 2000 Merlinettes participeront à l’effort de guerre, initiant ainsi la féminisation ultérieure des armées. Les unités de transmissions reçoivent enfin des matériels radios neufs fournis par les Etats-Unis et sont engagées avec efficacité et héroïsme au profit des grandes unités comme la deuxième division blindée du Général Leclerc ou le Corps Expéditionnaire Français commandé par le général Juin, de la campagne d’Italie jusqu’à la prise du « nid d’aigle » de Berchtesgaden, en passant par la libération du territoire national à l’issue des débarquements du 6 juin 1944 et du 15 août.
Les années cinquante et soixante sont essentielles pour la jeune arme des transmissions à nouveau très vite sollicitée par de multiples défis. Tout d’abord, il y a le défi des guerres de décolonisation en Indochine, puis en Algérie avec de nombreuses difficultés liées à l’éloignement de la métropole, les élongations importantes nécessitant une grande habileté de la part des opérateurs, le vieillissement des équipements qu’il faut sans cesse réparer… Les transmetteurs s’y investissent pleinement faisant preuve de courage mais aussi de beaucoup d’ingéniosité technique à l’image du Lieutenant Deygout . Le deuxième défi est la modernisation de l’arme : il faut tout reconstruire avec notamment le défi de la formation. Une nouvelle école est installée provisoirement à Montargis dès la fin 1944. Elle va y rester un demi-siècle. Il faut faire évoluer les équipements et relancer l’industrie nationale des télécommunications. Il faut prendre en compte l’essor exponentiel de la transistorisation et de la micro-électronique. Pour les liaisons, les faisceaux hertziens permettent d’augmenter les débits et d’assurer les élongations. Et peu à peu, l’informatique commence à s’installer avec la mise en œuvre de gros calculateurs de gestion…
Le troisième défi est celui imposé par la Guerre froide et qui se traduit, après la fin de la Guerre d’Algérie, par la mise sur pied de la dissuasion nucléaire et le renforcement du corps blindé et mécanisé face à l’ennemi soviétique. Plus que jamais, la fiabilité et la permanence des transmissions sont des éléments essentiels de la crédibilité opérationnelle de nos armées.
Les années 70 et 80 voient ainsi l’aboutissement de grands programmes très innovants qui vont marquer durablement l’arme des transmissions et dont l’héritage se fait encore sentir aujourd’hui. Sur le territoire métropolitain, et tirant les enseignements de mai 1968 , l’armée de terre va déployer le RITTER qui va progressivement assurer le maillage et le raccordement de toutes les garnisons et les multiples organismes de l’armée de terre.
Pour les forces terrestres, ce fut la grande aventure du RITA , un réseau mobile tactique assurant le raccordement automatique des unités déployées à partir d’un maillage de centres nodaux reliés entre eux par des faisceaux hertziens et permettant également de délivrer une couverture radio. A partir de 1983, les régiments de transmissions commencent à mettre en œuvre les nouveaux équipements du RITA. Le RITA a ainsi été une révolution complète : technologique avec un nouveau principe de commutation, tactique en simplifiant la manœuvre, doctrinal et organisationnel. L’arme des transmissions a été à la pointe du progrès en matière de télécommunications et le RITA a préfiguré les réseaux actuels de téléphonie mobile.
Au cours de ces années, l’informatique est également devenue incontournable et les ordinateurs sont venus partout, sur les bureaux des grands états-majors puis peu à peu à tous les niveaux des armées, y compris sur le terrain, amenant les transmetteurs à mettre en œuvre non seulement les systèmes de communication dont le RITA, mais également les systèmes d’information à base de réseaux d’ordinateurs connectés entre eux.
Et depuis les années 90, l’accélération des progrès technologiques est devenue exponentielle exigeant des transmetteurs d’être de plus en plus innovants et réactifs pour répondre à des besoins opérationnels toujours plus complexes et dans un contexte d’explosion du numérique et des besoins en informations.
Pendant des années, la Direction Centrale des Télécommunications et de l’Informatique (DCTEI) implantée à Levallois-Perret, puis au Fort du Kremlin-Bicêtre a modernisé le RITTER, conduit la numérisation et l’informatisation de l’armée de terre. Dans une approche interarmées, elle s’est transformée à partir de 2006 en Direction Interarmées des Réseaux d’Infrastructure et des Systèmes d’Information de la Défense (DIRISI).
Depuis 1986, l’emploi des satellites Syracuse a amené une nouvelle dimension aux unités de transmissions en leur permettant de relier et de couvrir efficacement les théâtres d’opérations extérieures. De l’Afrique à l’Afghanistan, en passant par les Balkans, les antennes paraboliques sont devenues le symbole du lien entre le commandement et les forces projetées. Simultanément, les écrans d’ordinateurs ont envahi toutes les structures de commandement et la maîtrise de l’information en quasi temps réel est devenue un enjeu essentiel pour obtenir la dominance informationnelle et donc le succès opérationnel. La Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB) –l’internet du champ de bataille- est devenue incontournable et conditionne désormais tout déploiement tactique. L’interopérabilité interarmées et interalliées, autre facteur clé, passe également par cette maîtrise des transmissions, par nature très complexe et donc demandant des transmetteurs à la compétence sans cesse améliorée.
Et durant toutes ces années, l’arme des Transmissions a su s’adapter tant organiquement qu’opérationnellement, mettant en œuvre toutes les réformes conduites par l’armée de terre, dont la professionnalisation indispensable pour une arme mettant en œuvre des systèmes hautement sophistiqués. Pour ne citer que quelques exemples et sans être exhaustif, en 1994, les écoles fusionnent pour former l’Ecole Supérieure et d’Application des Transmissions (ESAT ) à Cesson Sévigné, dans la banlieue de Rennes. Des régiments ont été dissous (18° RT, 38° RT, 42° RT, 43° RT, 45° RT, 49° RT, 50° RT, 51° RT, 57° RT, 58° RT, 6° RCS, d’autres ont déménagé (28° RT d’Orléans à Issoire) ou ont été recréés comme le 41°RT à Douai…
Au cours de toutes ces décennies, l’arme des Transmissions – à travers ses hommes et ses femmes- a été confrontée à de très nombreuses et profondes mutations liées en partie aux progrès technologiques, mais aussi aux nouvelles exigences opérationnelles. La question de la compétence y a donc été toujours centrale et déterminante. Compétence du commandement, des concepteurs des systèmes et des réseaux, des superviseurs, des techniciens, des exploitants, des dépanneurs, des militaires et des civils de l’Arme des Transmissions… Compétences techniques, mais aussi compétences militaires, car le Transmetteur est un soldat déployé sur le terrain et dont la mission contribue directement à l’effet final recherché.
70 ans après sa création, l’arme des transmissions justifie pleinement son existence. La maîtrise de l’information qui avait tant manqué au commandement au printemps 1940, est aujourd’hui, plus qu’hier, la clé du succès opérationnel. Les Transmetteurs de 2012 peuvent donc être légitimement fiers du parcours réalisé et peuvent être particulièrement confiants pour l’avenir des Transmissions.
Jérôme Pellistrandi