« Nous sommes inquiets. La campagne présidentielle en France, où le thème de la liberté de la presse a brillé par son absence, s’achève dans un climat délétère pour les médias. Contester les conclusions d’une enquête journalistique est une chose ; multiplier les attaques publiques contre un média et ses collaborateurs en est une autre. Les mots ont un sens. L’excitation des esprits n’est pas sans conséquence : après le déversement d’insultes à l’encontre de Mediapart ces derniers jours, une journaliste de ce site d’informations a été agressée hier, alors qu’elle couvrait un meeting. Dans un affrontement déjà violent, les dirigeants politiques ont le devoir de faire preuve de retenue », a déclaré Reporters sans frontières.
« Le déchaînement verbal de la majorité à l’encontre de Mediapart est d’autant plus inacceptable qu’il est récurrent. Depuis le déclenchement de l’affaire Woerth-Bettencourt, le site d’informations est régulièrement désigné comme un bouc émissaire. Nous regrettons vivement d’avoir à rappeler, une nouvelle fois, que le journalisme d’investigation est légitime lorsqu’il s’intéresse aux cercles du pouvoir. Sa fonction est même indispensable dans une démocratie saine. »
« Nicolas Sarkozy et ses proches disposent de nombreux moyens pour contester les conclusions de cette enquête. Mais toute mise en cause judiciaire doit respecter le droit à l’information et le secret des sources. Nous déplorons profondément que la plainte, déposée par le président-candidat pour ‘faux et usage de faux’ et ‘publication de fausses nouvelles’, se fonde sur des dispositions du Code pénal prévoyant des peines d’emprisonnement, et non sur la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il est à craindre, en effet, que les garanties spécifiques aux journalistes soient écartées, et que la peine encourue ne vienne renforcer l’effet d’intimidation. »
Le président-candidat et ses soutiens décrivent depuis plusieurs semaines les médias comme un ensemble unanime, partial et manipulé. Le torrent d’insultes s’est largement gonflé depuis la publication par le site d’informations Mediapart, le 28 avril dernier, d’une note présentée comme émanant des services de renseignements extérieurs libyens, qui attesterait d’un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, en 2007, par le régime du dictateur déchu Mouammar Kadhafi. « Infamie », « désinformation », « officine », « organe qui se prétend être de presse » et « coutumier du mensonge »… Le président-candidat a déclaré qu’il avait « honte pour l’AFP d’avoir fait une alerte sur un document faux ». Le Premier ministre a qualifié le directeur du site, Edwy Plenel, de « récidiviste » et regretté qu’il n’existait « pas de peine plancher » pour ce type de délit.
Le 1er mai 2012, Marine Turchi, qui couvre les mouvements de droite pour Mediapart, a été violemment prise à partie, bousculée et insultée par des militants venus assister au meeting de l’UMP au Trocadéro, à Paris. Son badge presse a été arraché et jeté à terre.
Si elles se concentrent dernièrement sur Mediapart, les attaques de la majorité n’ont épargné que peu de médias nationaux : de France 3 accusée de « voler le contribuable » pour ne pas avoir retransmis un meeting du parti présidentiel à Nice, à Libération et L’Humanité accusées de « terrorisme intellectuel » pour avoir titré sur les gestes de Nicolas Sarkozy en direction des électeurs du Front national. Dans une moindre mesure, la presse a également été la cible d’autres candidats à l’élection présidentielle.
source : Reporters Sans Frontières