Magazine Humeur
Revue de livre par minarchiste “Empire: The Rise and Demise of the British World Order and the Lessons for Global Power”, par Niall Ferguson, Basic Books, 2004, 384 pages.
Avec cet ouvrage, le célèbre historien britannique Niall Ferguson réussit un tour de maître : décrire de manière intéressante un sujet aussi riche et complexe en si peu de pages. Ce sujet est selon moi essentiel puisque l’Empire Britannique a forgé le monde que l’on connaît aujourd’hui. Cela fait de cet ouvrage une lecture incontournable à quiconque veut comprendre le monde. Je le recommande fortement.
Voici quelques extraits de mes notes de lecture :
· Dans la course européenne à l’impérialisme, la Grande Bretagne avait pris bien du retard. Ce n’est qu’en 1655 qu’elle acquit la Jamaïque. · La différence entre la monarchie Britannique et les autres monarchies européenne était que ses pouvoirs étaient limités par l’aristocratie ainsi que par les deux chambres du parlement, l’empêchant de sombrer dans l’absolutisme destructeur. Les impôts ne pouvaient être levés que sous l’approbation du parlement, ce qui conférait une certaine protection aux fortunés et donnait un incitatif aux entrepreneurs à créer de la richesse. · Entre 1652 et 1674, les Anglais ont combattu trois guerres contre les Hollandais, dont l’enjeu était le contrôle des principales routes maritimes vers les Indes Orientales, la Baltique, la Méditerranée, l’Amérique et l’Afrique de l’Ouest. · Entre 1500 et 1700, le nombre d’Amérindiens en Amérique du Nord a chuté de plus de la moitié. La première cause de ce déclin est la panoplie de maladies infectieuses amenées par les colons Européens (variole, diphtérie, influenza). · Mêmes libérés, les esclaves des Caraïbes ont gardé l’anglais comme langue puisque c’était le dénominateur commun entre ces tribus variées. C’est d’ailleurs cette langue que parlait les fameux Maroons de Jamaïque (d’anciens esclaves rebelles qui menait une guérilla contre leurs anciens maîtres). · Beaucoup de gens connaissent le Boston Tea Party de 1773, durant lequel 342 caisses de thé valant 10,000 livres ont été jetées dans les eaux du port en guise de protestations. La plupart croient que c’était pour protester contre la hausse de la taxe sur le thé. En fait, le prix du thé ainsi gaspillé était très bas, même après taxes. Le Tea Party n’était pas constitué de consommateur irrités par les taxes, mais plutôt par des contrebandiers qui n’aimaient pas cette concurrence à bas prix. · Par ailleurs, le fameux slogan de Samiel Adams “No taxation without representation” n’était pas une forme de rejet de l’Empire Britannique, au contraire. Les colons voulaient que leur assemblée ait le même poids politique que celle du Parlement de Westminster. · Le grand paradoxe de l’histoire de l’Australie est que malgré qu’elle ait d’abord été constituée de gens rejetés par leur pays (i.e. des prisonniers), cette colonie a été si loyale à l’Empire pendant si longtemps. L’Amérique quant à elle avait débuté comme une plantation de tabac et un refuge religieux, pour finir en république rebelle se divisant de l’Empire. · Ce fut le fameux Rapport Durham qui marqua le début de la fin pour l’Empire. Son objectif était d’établir des politiques à adopter pour éviter que d’autres colonies imitent les États-Unis et se dissocient de l’Empire. En fait, suite à ce rapport, tout ce que les colonies demandaient, elles l’obtenaient. Par exemple, lorsque l’Australie demanda la fin des transports de prisonniers, la Grande Bretagne acquiesça; le dernier transport eut lieu en 1867. Le rapport Durham va même jusqu’à suggérer, avec grand regret, que si de telles politiques avaient été adoptées dans les années 1770, il n’y aurait pas eu de guerre d’indépendance. Les États-Unis auraient continuer à faire partie de l’Empire et des millions d’émigrants Britanniques auraient peut-être choisi la Californie plutôt que le Canada comme destination. · L’une des questions à laquelle tente de répondre Ferguson est la suivante: comment était-il possible pour 900 fonctionnaires et 70,000 soldats Britanniques de gouverner (et assujettir) 250 millions d’Indiens? Ce fut en effet un accomplissement insolite. · Entre 1873 et 1904, environ le tiers de l’Afrique fut annexé à l’Empire Britannique alors que presque tout le reste fut pris par d’autres puissances européennes. En 1909, le territoire de l’Empire s’étendait sur 12.7 millions de milles-carrés, soit 25% de la surface terrestre. La Grande Bretagne régnait alors sur 444 millions de sujets. · Pour plusieurs, incluant David Lloyd George, l’Empire était devenu une entreprise immorale et coûteuse, payée par les contribuables et ne bénéficiant qu’à un petit groupe de millionnaires. Et il avait bien raison. Ainsi, la guerre d’Égypte avait été combattue pour assurer les intérêts de Lord Rothschild, alors que la guerre des Boer en Afrique du Sud avait pour but de sécuriser la propriété des mines d’or. D’ailleurs, la Banque Rothschild, la plus grande institution financière au monde au 19e siècle, bénéficiait grandement de l’expansion de l’Empire. · Au 19e siècle, l’Empire est devenu si coûteux à maintenir que si la Grande Bretagne s’en était départi, elle aurait pu réduire les impôts de 25%. · En 1914, les Libéraux se sont engagés à défendre la France contre l’Allemagne, alors la plus grande puissance militaire du monde, mais sans imposer la conscription militaire, ce qui fut décrit par plusieurs comme étant un véritable suicide. Cela illustre bien le paradoxe entre l’impérialisme britannique et la liberté, une valeur chérie par les Britannique. · Au cours du 20e siècle, ce ne sont pas les mouvements d’indépendance qui ont le plus menacé l’Empire Britannique, mais plutôt les autres empires. Comme le démontre Ferguson, ces empires (Belgique, Allemagne, Turquie, Japon, Italie, Russie) étaient beaucoup plus durs et cruels envers leurs sujets que les Britanniques. La défense de l’Empire contre ces rivaux fut très coûteuse et amena le pays au bord de la ruine. · Au 20e siècle, l’Empire a suivi une formule récursive concernant ses colonies: tout d’abord une révolte mineure du peuple, suivie d’une sévère réponse militaire répressive, suivie d’une perte de confiance des Britannique en leur système impérialiste, suivie de l’expression d’amers regrets, suivis d’une difficile concession de liberté et d’indépendance envers la colonie. C’est l’Irlande qui a été la première à tracer ce chemin en 1920. La colonie de peuplement britannique du Nord est demeurée dans l’Empire alors que le Sud est devenu indépendant. · La Grande Bretagne a importé une grande quantité de richesses de ses colonies, mais elle y a aussi exporté énormément de savoir-faire et d’institutions viables. L’Empire leur a notamment imposé le libre-marché, l’État de droit (« rule of law ») et la protection de la propriété. Une fois ces institutions adoptées, il devint très difficile aux Britanniques de refuser la liberté politique et l’indépendance à leurs colonies. La Grande Bretagne a d’ailleurs été une force significative dans l’abolition de l’esclavage à travers le monde (et ce après avoir été un grand utilisateur et marchand d’esclaves auparavant). · La Grande Bretagne (et ses alliés) a remporté la première guerre mondiale grâce à ses équipements modernes et sa supériorité technologiques, mais dans les années 1920s, par soucis d’économie, le pays a cessé d’investir dans ses équipements militaires. Le remplacement des chevaux par des véhicules motorisés a été tardif et la Royal Air Force n’était pas bien menaçante. Au début de la seconde guerre en 1939, la plupart des fusils britanniques étaient encore ceux de 1905, avec une portée deux fois moins longue que ceux des Allemands. · Mais durant la seconde guerre mondiale, les colonies sont venues au secours de l’Empire, amenant au combat plus de 5 millions de soldats, soit presqu’autant que de soldat de la Grande Bretagne elle-même. Évidemment, c’est une ancienne colonie qui a fait la différence dans ce conflit, nul besoin de la nommer. Mais Roosevelt avait mis cartes sur table en écrivant une lettre au Peuple d’Angleterre en Octobre 1942 :« Une chose est sure, nous ne nous battons pas pour le maintien de l’Empire Britannique. » Pourtant, malgré leur attitude anti-impérialiste à cette époque, cette guerre allait devenir la naissance de l’Empire Américain. Et cette aide a coûté cher aux Britanniques. C’est John Maynard Keynes qui a été envoyé à Washington pour négocier l’aide financière américaine après la guerre. Ce dernier s’est senti comme le représentant d’un peuple vaincu qui négocie les termes de sa défaite. · C’est aussi durant la crise du Canal de Suez de 1956 que la faiblesse de l’Empire fut mise au jour. Le président Égyptien Nasser avait eu la curieuse idée de nationaliser ledit canal. Des attaques furent alors menées par le Royaume-Uni et la France pour en regagner le contrôle, mais les forces durant se retirer sous la pression des États-Unis, qui menaçaient de liquider leurs obligations en livres sterling (obtenues suite à la Deuxième Guerre Mondiale en vertu du plan Marshall), ce qui aurait détruit la devise Britannique. Les nationalistes de toutes les nations de l’Empire en ont alors pris bonne note; le temps était venu de se libérer de l’Empire. · Dans les années 1960s, les anciennes colonies britanniques d’Afrique ont été chaudement disputées entre les Américains et les Soviétiques durant la guerre froide. Malheureusement, le résultat a souvent été le remplacement du joug colonial par la guerre civile. · La thèse centrale de l’ouvrage de Ferguson est que sans l’expansion de l’Empire Britannique autour du monde, il est difficile de croire que les structures du capitalisme libéral auraient été établies avec autant de succès dans un si grand nombre d’économies. Les Empires qui ont adopté un modèle alternatif, telles que l’Union Soviétique et la Chine, ont imposé une terrible misère à leurs populations. Sans l’Empire, il est peu probable que la démocratie parlementaire aurait été adoptée dans la plupart des pays du monde comme c’est le cas présentement. Par ailleurs, l’implémentation des institutions britanniques dans des pays sous-développés a fortement encouragé les investissements étrangers dans ces pays (notamment en protégeant mieux les droits de propriété des investisseurs), ce qui a favorisé le développement de ces nations. · Pour ces raisons, Ferguson doute de la thèse selon laquelle les nations colonisées par les Britanniques ont été appauvries. En fait, si on considère les anciennes colonies Africaines, tel que le Zambie, la différence de PIB par habitant entre le Royaume-Uni et le Zambie a nettement augmenté depuis la fin du colonialisme dans ce pays, passant de 7 fois en 1955 à 28 fois aujourd’hui. Ces nations se sont donc relativement appauvries suite à leur accession à l’indépendance. La seule exception à cette règle est le Botswana. · En fait, les anciennes colonies britanniques ont eu plus de succès à conserver un système démocratique suite à leur indépendance que les anciennes colonies des autres empires. En effet, presque tous les pays de plus d’un million d’habitants qui ont réussi à émerger du colonialisme sans sombrer dans la dictature sont d’anciennes colonies britanniques. · L’Empire Britannique n’a pas démarré avec comme objectif de dominer le quart de la surface du globe. Il a plutôt démarré tel un réseau informel de bases côtières axées sur le commerce. C’est en réponse aux menaces extérieures à ces intérêts commerciaux que cet impérialisme commercial est devenu plus formel.