Le 1er mai médiatique avait démarré avec la traditionnelle célébration de Jeanne d'Arc par le Front National. C'était
triste. Il faisait beau. La Place de l'Opéra avait été péniblement remplie, ce qui était surprenant pour un parti que l'on disait si fort. Marine Le Pen disputait à Nicolas Sarkozy le
leadership de la droite. Le Monarque avait si bien légitimé la plupart de ses thèses, il ne restait au rassemblement Bleu Marine qu'à dénoncer l'hypocrisie du clan Sarkozy. Soit Sarkozy
assumait sa démarche jusqu'au bout, et donc appelait à voter FN en cas de duel FN/PS au second tour des législatives, soit il fallait l'achever.
Sans surprise, Marine Le Pen promit de voter blanc au second tour. Elle se refusa de donner une quelconque
consigne: « Dimanche, je voterai Blanc! Et en juin, Bleu Marine »
Deux heures plus tard, c'était au tour de Nicolas Sarkozy de tenir sa « vraie fête du travail », à
moins qu'il ne s'agissait de la « fête du Vrai Travail ». On ne savait plus.
Il était radieux, comme le temps. Rien à voir avec le meeting
de la veille, en Avignon. Il semblait requinqué d'être en terre amie. La veille, il semblant chancelant voire grippé. A Paris, les militants et supporteurs avaient été conviés à 14h. Le meeting
commença par une intervention de l'ancien centriste Jean-Christophe Lagarde, puis lui succéda Nadine Morano. Alain Juppé et François Fillon étaient là également. Jean-Louis Borloo, un temps
promis sur l'estrade, avait fait faux bond. La campagne
Meeting surévalué
Nicolas Sarkozy avait beau jeu de se moquer des Bobos et de Saint-Germain. Venir fanfaronner contre la lutte des classes
au coeur du quartier de la classe dominante avait quelque chose de cocasse. Les deux arrondissements parisiens du Trocadéro, les 8 et 16ème, lui avaient donné 58% et 65% des suffrages au premier tour
du 22 avril dernier. Il allait chercher la France forte chez les siens.
Sur place, Nicolas Sarkozy crut voir 200 .000 personnes, deux fois plus qu'à la Concorde. la place était trois fois plus
petite. Cela faisait un peu plus de 10 supporteurs par mètre carré. Il était stupide de faire une telle course au chiffre pour sortir des scores aussi facilement contredits par la réalité. La
place était pleine, mais la place était petite. L'UMP avait débloqué les grands moyens. Comme pour le meeting de la Concorde, deux semaines avant. Ses fédérations avaient proposé des allers-retours en train à des
tarifs défiant toute concurrence.
Ces Français qu'il n'aime pas
Vers 15h30, Nicolas Sarkozy arriva enfin. Il s'abrita d'abord derrière de Gaulle, et son discours de Bagatelle
du 1er mai 1950: «La masse immense que voilà prouve aux insulteurs que rien n’est perdu pour la France. » Les insulteurs ? La référence était
surprenante car en 1950, le général de Gaulle entamait une très longue traversée du désert. Sarkozy voulait-il envoyer quelque message subliminal ?
A quelques kilomètres de là, et avec quelques minutes d'avance, Marine Le Pen avait déjà fait huer les
communistes. Sarkozy n'était pas en reste: « Je n’accepterai jamais de recevoir des leçons de morale de la part de ceux qui brandissent le drapeau qui a été l’étendard de tant
de tyrannies et qui a enveloppé dans ses plis parmi les plus grands crimes de l’Histoire ». Dans l'assistance, on siffla, mais sans toutefois scander « Communistes Assassins
! » comme place de l'Opéra. Il avait besoin de fustiger le drapeau rouge. Mais qu'avait-il donc ? L'Union soviétique n'était plus depuis 21 ans déjà, mais Sarkozy cherchait encore à
recréer la peur des chars russes sur les Champs Elysées si François Hollande était élu.
Au Trocadéro, dans l'un fiefs de la droite bourgeoise parisienne, Sarkozy venait donc agiter le drapeau rouge.
« Le drapeau rouge, c’est le drapeau d’un parti ! Le drapeau tricolore, c’est le drapeau de la France ! ». Un peut plus tard dans son meeting, il voulut cliver encore un peu
plus, le Président des Riches voulait crier sa propre révolte: «La France est un des pays les plus accueillants et les plus généreux du monde. Elle ne mérite pas qu’on la critique sans
arrêt, elle ne mérite pas qu’on la stigmatise. »
Sarkozy ne fut pas avare en caricatures de la réalité qu'on avait l'habitude d'entendre dans les discours
ultra-libéraux ou frontistes: « Il n’est pas juste que les aides soient trop souvent réservées à ceux qui n’ont pas travaillé et que ceux qui ont travaillé soient moins
aidés.» On se souvenait de Laurent Wauquiez, l'an dernier, ou de Marine Le Pen, plus récemment.
Récupérer le travail
Sur le front du travail, il avait déçu. Son quinquennat n'avait pas été celui du Travail. Pire, la défiscalisation des
heures supplémentaires avait accéléré la dégradation de l'emploi dès le printemps 2008. Depuis, contrairement à ses promesses répétées quasiment chaque année, le chômage ne finissait pas
d'augmenter.
Au Trocadéro, Sarkozy voulait récupérer le 1er mai, la fête du travail, et donc la valeur Travail qu'il avait tant
négligé. C'était parfois très gros: « nous nous considérons comme les héritiers de ceux qui ont lutté pour le droit de grève, pour la liberté syndicale et pour les congés payés.»
Il se voulait rassembler, héritier des plus grandes luttes sociales, mais sa formule était maladroite. Il était trop clivant, trop hargneux. Il se prétendait « acteurs du progrès
social » autant que la gauche, mais qu'avait-il fait depuis 2007 ? Il répéta des généralités. Dans son discours, Nicolas Sarkozy fut avare d'arguments de son bilan. Il évoqua la
réforme des retraites, oubliant, comme toujours, de mentionner la pénibilité.
« On n'a pas le droit de culpabiliser la France du Travail ! » fut l'exemple même de la formule
creuse et hors sol.
Caricaturer l'adversaire
Il ressassa ses attaques, vieilles de 10 ans déjà, contre les 35 heures, la retraite à 60 ans,
Il mentit en accusant la gauche, absente du pouvoir depuis une décennie, d'avoir « alourdi le coût du travail » (son
envolée date de 2002). Il fit mine de retrouvrer même quelques grâces aux syndicats («il n’y a pas de démocratie sans liberté syndicale. »).
Voulait-il nous faire oublier ses salves contre les corps intermédiaires, qui avaient marqué son entrée en campagne ?
Non, bien sûr: « Dans la République, ce ne sont pas les syndicats qui gouvernent. C’est le gouvernement. Ce ne sont pas les syndicats qui font la loi. C’est le Parlement. Dans la
République, c’est le peuple qui décide. Dans la République, quand il y a blocage, on donne la parole au peuple. C’est cela la République ! »
Il accusa Hollande, pèle mêle, de « revenir sur l’exonération des droits des petites et moyennes
successions » (c'était faux), de « remettre en cause le quotient familial » (c'était faux), de «matraquer fiscalement les classes moyennes » (c'était
faux), ou de prôner le « retour de l’égalitarisme » .
Le nouveau gadget
« Je veux un nouveau modèle français» fut le maître mot du discours. Nicolas Sarkozy sortait cette
cartouche un peu tard. On se souvient de sa pitoyable première tentative de grandir sa mandature, il y a deux ans, lorsqu'il nous promettait une nouvelle « politique de civilisation
».
Cette fois-ci, le gadget s'appelait « nouveau modèle français ». Sarkozy décrivit
son ambition, un modèle qui « ne cherchera pas à diminuer le coût du travail en abaissant les salaires »; où « le travail sera reconnu comme valeur »; qui favorisa
« le capitalisme des entrepreneurs »; « où tout le monde aura conscience que c’est en faisant front ensemble que l’on pourra relever le défi de la
mondialisation».
Dans son idée, ce « nouveau modèle français » serait celui « où plus aucun enfant
n’entrera au collège sans savoir lire, écrire et compter». Avec 60.000 enseignants de moins ? Et des enseignants moins payés
? Dans son « nouveau modèle français », l'école apprendrait aux enfants « à tracer la frontière entre le bien et le mal, entre ce qui se fait et ce
qui ne se fait pas, entre la vérité et le mensonge, entre le beau et le laid ». Entre le beau et le laid ?
Sarkozy était presque Houdini le Magicien, il avait la solution, évidente: « Il faut augmenter les salaires et
il faut diminuer le coût du travail. Voilà le défi ! » Il justifia sa TVA sociale, la « TVA anti délocalisation, c’est une TVA pour freiner les délocalisations, pour protéger
l’emploi français.» La hausse d'octobre prochain - 1,6 point - restait trop dure pour le plus grand nombre (après celle de 1,5 point pour la TVA réduite, les déremboursements médicaux, la
hausse des taxes sur les mutuelles, etc), et trop faible pour changer quoique ce soit pour le coût du travail.
Ce nouveau modèle ressemblait à un extrait de son programme de 2007. Mais qu'avait-il fait depuis 5 ans ?
La Frontière ! La Frontière !
Nicolas Sarkozy devait évidemment faire l'éloge de la « Frontière », son nouveau
dada. Il enfonçait des banalités creuses qui, s'il n'avait gouverner la France pendant 5 ans, aurait pu encore faire illusion: «Il faut des frontières à la France. Non pour s’enfermer, mais
pour s’affirmer dans le monde. Pour clarifier les rapports avec les autres. La frontière, c’est le droit opposé à la force.»
Il invoqua beaucoup l'histoire. Après tous ces clins d'oeil de second tour vers Pétain, c'était cocasse ou
ignoble. L'homme était
trop intelligent pour savoir qu'il avait manié de sales références avec ses éloges du Vrai Travail et de l'Identité Chrétienne. La frontière, c'était aussi celle de l'héritage. Comme à
chaque meeting, Nicolas Sarkozy répéta que « sa » France était celle d’une grande culture, d'une grande histoire; de Voltaire, de Chateaubriand, de Victor Hugo, de
Maupassant; « de Jeanne d’Arc, de Bonaparte, du Général de Gaulle, des héritiers de la Renaissance, de la Résistance, des Trente Glorieuses ».
Il lui restait trois jours pour convaincre de son « nouveau modèle français », un modèle qu'il
n'avait pu expliquer en 5 ans.
«Trois jours pour expliquer !
Trois jours pour convaincre !
Trois jours pour entraîner ! »
En attendant son « nouveau modèle français », une journaliste de Mediapart a été agressée lors de
cette manifestation à
cause du simple fait de porter un badget «Presse » mentionnant son journal.
Il nous faut encore trois jours de mobilisation pour clore cette sinistre parenthèse.