Sinistre fort Chabrol à Nogent-sur-Marne

Par Doespirito @Doespirito

Il fait un temps superbe, ce 14 mai 1912, quand Guichard, Legrand et six agents de la Sûreté bien informés, s'approchent d'un petit groupe de maisons situées sous le viaduc de Nogent-sur-Marne. Ils ont un peu modernisé leur attirail depuis le récent siège contre Bonnot à Choisy : ils sont cette fois armés et pourvus de plaques de tôle dégottées chez un armurier du coin, en guise de bouclier. Ils aperçoivent un jeune couple dans le jardin du 9 rue du viaduc, qui s'enfuit dans la maison à leur approche. La protection de policiers se révèle assez faible car en quelques coups de feu tirés de l'intérieur de la villa, trois agents restent sur le carreau, l'un blessé assez grièvement.

Emplacement actuel de la villa (détruite) où s'étaient retranchés Garnier et Valet.
Pendant que la police encercle la bâtisse
, une femme sort alors de la maison et se rend : c'est Marie Vuillemin, la maîtresse de Garnier, que ce dernier et Valet mettent dehors contre son gré car ils veulent se défendre seuls. La compagne de Valet, Anna Dondon, elle, sera arrêtée plus tard hors de la maison. Dehors la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre et la foule bigarrée grossit à vue d'œil : femmes en toilette, ouvriers en bleu, noceurs venus des grands boulevards, familles en baguenaude… A Paris, des taxis racolent même les curieux pour les emmener au lieu du futur drame. L'odeur du sang rameute, on crie, on se hèle, on s'apostrophe en riant, on montre la maison aux nouveau arrivants. Le spectacle en vaut la peine : le journal “Le Petit Parisien”, qui s'y connait, remarque que le public ressemble à celui des exécutions capitales.
A la surpopulation des curieux répond le surnombre ingérable des militaires et des policiers. Les Zouaves de Nogent sont appelés en renfort, les agents de police de banlieue, les gendarmes de Vincennes et des villes environnantes sont mobilisés. Un détachement d'infanterie arrive au pas de gymnastique, fusil Lebel à l'épaule. Difficile à cette troupe de manœuvrer dans un aussi petit espace. Les militaires creusent des meurtrières dans les murs et les piliers proches, montent sur le viaduc et tirent sur la maison en bas, jettent des pierres sur les tuiles. En vain. Dès qu'on s'approche trop près, des coups de revolvers tirés par Garnier et Valet (ci-contre) font reculer les plus braves. Les officiels sont arrivés et on décide de faire comme pour Bonnot : faire parler les explosifs, pas de prisonnier, pas de quartier.

Mais conceptualiser l'idée
, c'est une chose, s'approcher de la maison, c'est une autre musique qu'à Choisy. Car Valet et Garnier se défendent avec l'énergie du désespoir, tirant et invectivant sans se laisser impressionner. Vers à 8 heures du soir, le premier paquet de dynamite est lancé du viaduc sur le toit de la maison. Explosion terrible mais résultat décevant qui fait gronder la foule, restée sur sa faim : la maison est encore debout. La nuit tombe et, en l'absence de projecteur, la soldatesque tire au jugé dans le noir d'encre. On entend les détonations de part et d'autres mais seul l'éclat des tirs illuminent la scène. Au dessus de la maison, sur le viaduc, les trains de banlieue ralentissent et les passagers crient “A mort !” par les fenêtres. La guinguette du coin fait salle comble. Une deuxième charge d'explosifs est envoyée depuis le jardin par un zouave, suivie d'un intense mitraillage, mais le résultat est nul.
A 10 heures, troisième charge, troisième fusillade, essai d'assaut repoussé par les assiégés. La quatrième est toujours inefficace, le projecteur électrique qu'on a monté en hâte ne réussit qu'à aveugler les assiégeants. La cinquième charge est éteinte par la pluie. A 2 heures du matin, enfin, une énorme explosion réussit à faire écrouler à moitié la maison. L'assaut peut commencer dans la pénombre et un désordre complet. Les mitrailleuses entrent en action, mais dans le noir, on ne sait plus qui est qui, ni si les bandits sont là, morts ou vivants. Les militaires se blessent entre eux. On lâche des chiens, les coups de feu se succèdent. Les zouaves progressent à tâtons.
Valet et Valet à la morgue
Soudain, vers 2h30, tels des spectres
dans l'ombre d'une chambre, on découvre Garnier râlant sur un matelas et Valet, accroupi dans un coin, ensanglanté, sans force. Les deux hommes sont immédiatement plombés à bout touchant. On les transporte dehors, plus morts que vifs, mais leur sortie déchaîne la foule qui rompt les cordons. On frappe le cadavre encore chaud de Garnier et on achève Valet, étranglé et tabassé. Dans la matinée, des charognards graissent la patte aux policiers pour entrer et piller la maison, à la recherche de souvenirs macabres. Guichard, revenu sur les lieux, devra piquer une colère pour qu'on remette enfin la foule à sa place.
Cette fois, la bande est décapitée. Il faudra attendre le procès du reste du groupe pour que le dernier coup soit donné. Ce sera en février 1913, avec une vingtaine d'inculpés qui vont passer aux assises. Six têtes seront en jeu.


(A suivre, le dernier épisode)
Illustrations : wikipedia, Google streetview, Le Petit Journal