Les législatives 2012 en Algérie coïncident avec l’entrée en vigueur des réformes politiques engagées par le pouvoir dans le sillage du printemps arabe. Elles sont destinées à apporter un changement dans le pays régi à la baguette par un régime totalitaire. En l’absence de règles démocratiques les plus élémentaires notamment dans la confection des listes et le choix des candidats, ces élections vont précipiter le pays vers la débâcle. D’ores et déjà, leurs préparatifs renvoient une image affligeante.
Le printemps arabe éclate et secoue le régime algérien qui tente, en janvier 2011 sous la pression de la rue, une ouverture en suggérant des réformes politiques (portant amendement de textes de loi : le code de l’information, la loi sur les partis politiques et les associations, le code des communes et la loi électorale.). Conjoncture oblige, le pouvoir cherche à apaiser les esprits des manifestants qui réclamaient l’équité sociale, le partage égal des richesses et plus de libertés démocratiques. Justement à propos des libertés démocratiques, au moment même où les réformes sont mises en œuvre, le pouvoir poursuit ses intimidations et sa répression parfois violente contre des manifestants pacifiques. Le droit de s’exprimer, pourtant garanti par la Constitution, continue à être bafoué par les « meneurs » des réformes. Cette attitude du régime n’augure en rien pour le changement auquel aspire le peuple ; elle discrédite de surcroit les prochaines législatives.
Habile, le pouvoir s’est ingénié à émietter la classe politique. Dans la foulée des réformes, une centaine de formations politiques ont été autorisées. Face à l’échec des partis ayant dominé la scène politique ces dernières années, le pouvoir mise sur ces « nouveaux nés » pour prêcher des paroles autres que celles du régime. En somme, ces partis fantoches ignorent totalement les préoccupations du peuple et ne risquent pas de remettre en cause le pouvoir. La manière dont sont désignés les candidats à la députation, prédit cet avilissement et l’APN (Assemblée Populaire Nationale) ne sera de ce fait qu’une chambre d’enregistrement comme son prédécesseur.
Que va apporter à la nation et au peuple un député qui a monnayé sa position sur les listes des candidatures? Le prix varie entre 1.000.000 et 5.000.000 DA (9.500 et 45.000 Euros), selon la disposition du parti sur l’échiquier politique, et la région à représenter (les marchés et les opportunités d’affaires qu’elle offre). En effet, la course vers la députation a été entachée d’irrégularités. Les électeurs ont assisté impuissamment à des pratiques malsaines dans le choix des candidatures. La fraude existe de par le monde mais dès qu’elle est généralisée, elle devient inquiétante, voire un danger éminent pour la nation. Les politiques intègres et les compétences sont de facto éliminés. Une fois l’immunité parlementaire acquise, ces représentants du peuple mués en hommes d’affaires, s’activeront à rentabiliser leur investissement au détriment de la liberté économique tant réclamée par des authentiques entrepreneurs et industriels, ceux que le pouvoir a étouffé par des manœuvres sournoises - une répression économique qui ne dit pas son nom.
Et pour sa campagne appelant à une participation massive, l’Etat ne lésine pas sur les moyens, bien sûr, qui ne sont pas conformes (les prêches dans les mosquées, les envoies des texto par le ministère des l’Intérieur, appelant à voter massivement…). Même l’administration et les fonctionnaires sont mis à contribution. Toute honte bue, au diable la neutralité. La crainte du boycott est justifiée car le taux de participation sera l’indicateur confirmant la crédibilité ou non du pouvoir vis-à-vis de l’opinion publique, internationale particulièrement. La valeur du taux de participation va constituer une denrée destinée à la consommation. La campagne de sensibilisation initiée par l’Etat, et donc par le pouvoir, pour un vote massif n’est pas innocente pour peu que ce pouvoir autorise une contre campagne comme cela se fait dans les sociétés démocratiques. La révolution citoyenne ce n’est pas appeler à voter en masse, c’est plutôt aider à trouver le meilleur programme qui sera adopté par les électeurs. La clé du changement auquel appelle le peuple est entre les mains des politiques intègres - encore faudrait-il que ces deniers puissent s’exprimer et il le faut bien. Car la déconfiture guette cet évènement électoral, ce rendez-vous avec l’histoire.
Toutefois, la nomenklatura doit user de tous les subterfuges pour se pérenniser, non seulement pour préserver ses intérêts et les biens mal-acquis, mais plus encore. Elle doit se prémunir contre le jugement de la société qui lui demanderait des comptes quant à l’origine de sa fortune. Le régime tergiverse mais jusqu’à quand ? Depuis l’indépendance en juillet 1962 à ce jour, le régime algérien s’appuyant sur sa sacro sainte appartenance à « la famille révolutionnaire » pour se perpétuer, a édifié tout au long de son histoire une démocratie de façade. En fait, il use constamment d’une stratégie, celle de donner d’une main pour mieux reprendre de l’autre. En cet avènement du printemps arabe, le pouvoir a offert un rafistolage au lieu d’un changement radical.
Il est légitime de méditer au bout du compte sur le changement apporté par le printemps arabe aux sociétés tunisienne et égyptienne, qui ont vu déferler la mouvance islamique. L’Algérie qui a déjà vécu cette expérience de la victoire écrasante des islamistes aux législatives et l’annulation du processus électoral, ne risque peut-être pas la réédition du scénario de 1991. Oui, peut être pas car ce n’est pas certain. Le scrutin du 10 mai 2012 en Algérie sera comme un grand saut dans le vide…
Lahouari Bouhassoune, le 11 avril 2012 - Lahouari Bouhassoune est journaliste au Quotidien d’Oran en Algérie.