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Conte soufi : Interprétation

Par Unpeudetao

   Un derviche passait six jours par semaine à méditer. Le septième, il se rendait dans la ville la plus proche de sa zawia. Là, il allait d’échoppe en échoppe, buvait le thé avec les gens, tenait des conversations impromptues.
   C’est à cette occasion qu’un étranger le vit déguster des gâteaux au miel en compagnie d’un lettré. L’étranger, dont la connaissance du soufisme se limitait aux conceptions populaires exaltant la piété des derviches, s’écria bien haut sur la place du marché :
   « Quelle honte ! Un derviche, frayer avec ce pédant ! Quand un homme a tout loisir de pousser sa réflexion intérieure, et qu’il court quand même après des choses puériles, sûr qu’il est loin de la réalisation ! »
   Parmi ceux qui l’avaient entendu, il s’en trouvait quelques-uns qui étaient mieux informés quant à la réputation du maître, mais non quant à sa façon d’agir.
   C’est un homme de connaissance, dirent-ils. Sans doute qu’il partage sa sagesse avec les gens ordinaires. Et puis les soufis n’ont-ils pas toujours proclamé que les érudits ont grand besoin de s’entretenir avec des hommes de réelle expérience ! »
   Cette idée remplit le censeur de honte. Il pensa avoir appris quelque chose grâce à ce reproche, qui n’était en fait qu’une remarque superficielle fondée sur des généralités.
   Cette nuit-là, un être surnaturel lui apparut.
   « Puisque tu as montré un vrai regret, tu peux avoir une interprétation vraie de l’affaire qui t’a rendu perplexe, dit l’être subtil. Sache que les derviches agissent sur les autres d’une manière souvent insoupçonnée des bénéficiaires, et inconcevable pour les observateurs. L’effet intérieur produit par le derviche sur le lettré, qui tient au fait que celui-ci est en sa compagnie, est mille fois plus fort si le derviche ne discute pas avec lui. L’effet est puissant même si le derviche n’aborde aucun sujet dit important.
   « Le derviche éclairé qui garde le silence, ou parle de la pluie et du beau temps, a un effet bien plus puissant sur le monde que l’intellectuel lancé dans des spéculations ou le sentimental persuadé d’éprouver des sentiments profonds. »

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