O Négatif. Chapitre 1 En direction d'Elven.

Par Leshakerdecyril

Le rendez-vous est programmé, tous les samedis sur notre blog dédié, Emilie et moi-même poursuivons l'écriture de O Négatif. Nous venons de clôturer le premier chapitre intitulé "En direction d'Elven", celui que je vous propose de découvrir ou de redécouvrir. Je me ferais l'écho d'ailleurs sur mon blog de vous proposer uniquement l'intégralité des chapitres dès à présent. Sinon c'est ici qu'il faut se rendre.

Pour finir Emilie et moi-même venons de sortir d'une entrevue avec Valery Sady du site Univers de femme, l'occasion d'en savoir un peu plus sur la construction de notre "roman virtuel". L'interview c'est ici


O Négatif Chapitre 1 En direction d'Elven.

Le sac est prêt, j’ai pris le strict minimum, juste quelques souvenirs, le reste j’aviserai là-bas. Tremblante, je m’approche de mon loulou : 
-  Réveille-toi mon chéri, tu dois t’habiller, nous devons partir.
- Mais maman, il fait encore nuit ! 
Il me regarde et comprend, nous nous sommes préparés à cette nuit depuis des semaines. Il se frotte les yeux, part dans la salle de bain. Je lui ramène ses nouveaux vêtements. Encore endormi, il voit son nouveau reflet dans le miroir. Il fait cette moue de dégoût, mais il sait, je l’espère en tout cas, qu’il n’a pas le choix. 
Il s’habille. Puis je me mets à sa hauteur et le questionne :

-   Tu t’appelles comment ?

-   Julia  Sanchez

-   Tu as quel âge ?

-   8 ans

-   Tu es née quand ?

-   Le 7 août 2004

-   Je m’appelle comment ?

-   Paloma Sanchez

-   J’ai quel âge ?

-   30 ans

-   Où est ton père ?

-   Il est mort avant ma naissance

Je culpabilise de lui faire subir tout ça, mais il le faut, c’est vital pour lui, pour moi, pour nous. Je lui donne la main, jette un dernier regard à cet appartement insalubre, et ferme la porte. 
 

La nuit est pesante, le froid nous glace le sang, et nous avançons tête baissée, vers la gare de Perpignan. 5h37, nous prenons le train pour Paris gare de Lyon, arrivée prévue 10h48. De là nous devons nous rendre à la gare Montparnasse avant 12h en direction de Vannes 15h25, et enfin débarquer à Elven en fin d’après midi.

Installé mon fils me serre très fort la main, j’ai une larme qui coule le long de ma joue, et il l’essuie sans dire le moindre mot. A partir de maintenant, il sait que nous ne devons parler à personne, ne regarder personne dans les yeux, et taire notre passé à jamais. 
Il pose sa tête contre moi, et ferme les yeux. Je suis sûre qu’il est angoissé, qu’il a peur. Je suis dans le même état. Nous essayons d’être fort, nous n’avons pas le choix. Et surtout, personne ne doit se rendre compte de la supercherie, pas maintenant en tout cas. Impossible sinon tout notre plan partira en fumée.

Enfin le train démarre, je n’ai vu personne nous suivre, c’est une bonne chose. Ce soir, il viendra comme tous les vendredis soirs chercher son fils, et il n’y aura personne. Nous serons loin et dans un endroit sûr. Je l’espère en tous cas.

8h30, normalement il devrait être à l’école. J’ai envoyé un dernier email hier soir à la maîtresse pour justifier son absence. Peut-être l’erreur de trop. Je ne dois pas me focaliser dessus. Je dois être plus précautionneuse, être attentive et réfléchie. Je me dois d’anticiper et avoir plusieurs coups en avance.  Je ne dois rien laissé au hasard.

Mais j’ai si peur, non en fait je suis terrorisée, j’ai la trouille d’être découverte, je suis flippée à l’idée qu’on me l’enlève, j’ai mal au ventre à cette pensée, si ça se trouve je me plante, je nous plante. Pourtant c’est la seule issue que j’ai trouvé, fuir, et refaire notre vie ailleurs. Temporairement d’abord et ensuite nous aviserons.

© Mimilie/O négatif.Page 1.


« Je sais pas quoi faire ! »

« Viens m’aider j’ai besoin de toi… »

« C’est nul ici ! »

« Antoine, arrête un peu, viens m’aider».

Il faut dire que cette vie ici en Bretagne est un contraste fort avec notre vie parisienne d’il y a maintenant quatre mois. Je ne regrette rien, j’avais besoin de partir, loin, très loin, de me faire envahir par un nouveau projet, j’étais en train d’étouffer et ici il y a de l’espace et l’horizon est lointain.

« J’aime pas la maison, j’aime pas mon école, j’aime pas mes copains, j’aime pas la boulangère »

« Ah, la boulangère n’est pas ta copine ? »

« Elle me fait peur, elle parle jamais, les gens ici ils sont bizarres »

« C’est un petit village Antoine, tu vas trouver tes marques, allez viens m’aider j’en ai vraiment besoin »

J’ai le souvenir d’un dîner avec mes amis, ceux que je vois rarement, je me revois dire que jamais au grand jamais je ne quitterai Paris et mon travail dans la communication. Un an déjà. Il me tarde de revoir mes proches, faire découvrir ma maison, notre nouvelle vie, je dois l’avouer je me sens solitaire en ce moment, et puis ce travail, ce projet, la lourdeur de la tâche est immense.

« J’aime pas ton château ! »

« Antoine tu es vraiment pénible, en plus c’est pas un château c’est un manoir »

« Il est moche »

« Il n’est pas moche, il est vieux, je m’en occupe, il te plaira après tu verras »

Moi, le sémillant carriériste, me voici en jean troué, une pelle dans la main, suant comme un fou pour redonner de la brillance à cette somptueuse demeure. Elle sera belle et je pourrai enfin faire vivre mon projet. J’avais besoin d’un but, d’un objectif, si je n’avais pas trouvé cette affaire je serai sur un lit d’hôpital, sans mon fils. Je le sais.

« Maman elle rigolerait bien de te voir tenir une pelle… »

Je regarde mon fils. Contenir mes larmes, ne pas laisser transparaître mon émotion, mon chagrin, il est temps de lui faire un sourire et de m’abandonner de nouveau à ma tâche. Elle manque. Cette voiture, cette soirée, ce virage, seule, au fond du ravin. Elle manque, elle lui manque, elle nous manque. Il faut avancer, ne pas se retourner, jouir de la vie pour mon fils. Au fond du gouffre avant de partir mon meilleur ami m’a dit cette phrase « Julien, quand on a un enfant, on n'a plus le droit de mourir ». Le déclic. Sur un coup de tête me voici ici, avec ma pelle, mon fils, mon jean troué, et la boulangère qui fait peur.

« Antoine va te changer ils vont arriver »

« J’y vais pas… »

« Je te fais garder par la boulangère alors ! »

« Je vais me changer, j’arrive ».

© Leshaker/O négatif. Page 2.


Sur le chemin vers la gare Antoine est désagréable. A vrai dire je ne sais plus comment calmer cet enfant. Son déchirement est palpable, son déracinement aussi, je lui ai volé son Paris, notre vie, sa mère, cet accident, mon fils est né sous une mauvaise étoile. Alors je roule, vers cette gare, vers elle, vers cette anonyme dont je ne sais rien, enfin presque rien.

J’ai besoin d’aide dans cette rénovation, la tâche est immense, je n’avais pas bien anticipé les travaux, puis ma volonté de créer un parc agréable de ce manoir me demande des bras supplémentaires et des idées. A terme j’espère y accueillir des évènements, des séminaires, en faire une adresse connue. J’ai donc compulsé des annonces, je suis tombé par hasard sur Elle, sa motivation à changer de vie, célibataire, un enfant, un passé de décoratrice. Un soir j’ai décidé de la contacter, cette voix, ce charisme, je me suis laissé guider par mon choix. Venir vivre dans le Morbihan ce n’était pas gagné,  j’ai eu de la chance, elle tenait à venir vite, et puis je dispose d’une dépendance qui lui permettra de vivre paisiblement le temps des travaux. Un enfant, un garçon, j’y gagne un compagnon pour Antoine.

Nous approchons de la gare, comme souvent je suis en retard, c’est dans mon ADN le retard, je n’arrive pas à le combattre. Pour une première rencontre ce n’est pas du meilleur effet. A l’approche de la gare Antoine devient de plus en plus désagréable, décidément c’est une mauvaise journée, il est à la limite de l’hystérie je suis même obligé de m’arrêter et de le calmer. En retard, le gamin en pleurs à l’arrière du véhicule, pour une première rencontre c’est pas gagné.

Heureusement l’écran affiche 15 minutes de retard, le train arrive en même temps que nous finalement, enfin un rayon de soleil dans cette journée embrumée.

Mon fils dans la main droite, je regarde une photo d’Elle dans l’autre, les gens défilent, très vite, très très vite, puis plus personne sur le quai. Un petit moment de respiration, je récupère, je file dans la gare et de dos, rien que de dos je sais que c’est elle. Elle est jolie dans son long manteau, les cheveux qui descendent sur les épaules, sa lourde valise dans la main et son fils qui, de dos,  me semble jouer avec une petite voiture. Je n’ose pas me présenter et Antoine est derrière moi, la timidité sans doute.

Regards croisés, nous nous présentons, l’échange est furtif, nous parcourons des banalités le temps du chemin vers la voiture, le courant passe, la voix est identique au téléphone je m’en fais la remarque, j’ai le temps d'apprécier la peau de sa main, mais heureusement un court instant car mon fils toujours derrière moi traîne les pieds et refuse de venir avec nous.

Direction Elven, notre destination. Le puzzle prend forme, une nouvelle vie, un nouveau projet, et surtout ne plus me retourner, il faut oublier, le temps seul efface les cicatrices sans jamais les refermer.

Juste avant de glisser ma clé dans le contact, mon fils pleure plus fort. Sa joue est en sang. Il s’est griffé. Le sang coule le long de sa joue, elle a l’esprit de me tendre un mouchoir en souriant. Le sang coule de sa joue encore plus fort.

© Leshaker/O Négatif. Page 3.


Nous sommes arrivés, le cœur battant je pousse mon fils vers les wc de la gare. Je le change discrètement, je me remaquille, nous ne nous disons rien. Pas besoin. Je le sens tendu, mais aucun son ne sort de ma bouche. Nous avons réussi notre première étape, reste la seconde et ensuite nous pourrons souffler quelques jours.

Ils nous attendent, un sourire de circonstance, il me regarde, je baisse les yeux. Dans la voiture, je me sens mal, je suffoque un peu, il me parle de choses et d’autres que je n’écoute qu’à demi-mots. De toute façon mon plan est de ne pas le laisser m’approcher, je me ferme complètement. Rien ne doit fuiter, rien ne doit être divulgué. Je dois jouer mon rôle à la perfection, je dois protéger mon fils et je dois nous protéger.

L’ambiance est pesante, installé sur son canapé il a l’air si content de son projet de rénovation.  Il parle beaucoup, un peu trop, je dois trouver contenance mais je n’y arrive pas. Il doit ressentir mon malaise puisqu’il nous invite à découvrir notre appartement. 

"Quand dois-je commencer ?"

"Dès que possible, le mieux serait demain matin."

"D’accord, j’ai quelques formalités à régler je serais disponible pour 10h. Cela vous convient-il ?"

"Bien sûr, vous savez nous pouvons peut –être nous tutoyer ? Nous allons passer beaucoup de temps ensemble …"

"Ecoutez, vous êtes mon patron, je tiens à garder cette distance hiérarchique et à ne pas tout mélanger. Je m’occupe de votre fils, et de l’intendance du manoir,  nous verrons les autres tâches plus tard. Nous sommes fatigués mon fils et moi. Nous avons eu un long voyage."

"Oui oui bien sûr, excusez moi, je suis tellement exalté par ce projet que j’en oublie certaines convenances."

"Merci, à demain matin 10h. Je vous souhaite une belle soirée."

Le pauvre, je ne l’épargne pas, il a l’air gentil pourtant, mais chacun sa place.

"Maman, ça ne va pas ?"

"Si  un peu sur les nerfs"

"Je file sous la douche et après on peut se regarder un film tous les deux ?"

Je lui donne mon plus beau sourire en signe d’accord.  Je l’observe du coin de l’œil et mon visage s’adoucit.  Je suis si fière de lui, il est épatant, il transforme tout en bonheur. Mon chéri est ma plus belle réussite, je l’aime si fort. Pourtant, je sais que cela ne sera que de courte durée. Il va falloir que je trouve une solution, que je lui permette d’être encore ce bonhomme si fort et si courageux. Mais pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi nous ? Pourquoi et surtout comment vais-je faire toute seule ?

Endormis contre moi, je déplace son bras délicatement et me lève du lit. Il est minuit, j’allume mon pc, me connecte sur ma boîte mail. Un nouvel email, mon cœur bat la chamade, mon corps frissonne.

«  Tu crois vraiment que de fuir va m’empêcher de te retrouver sale garce. Allez pourrir en enfer toi et ton fils ». 

© Mimilie/O Négatif. Page 4. 


Comment faire pour ne plus vivre dans cette terreur ? Comment en suis-je arrivée là ? Je me replonge alors dans mes souvenirs, quand est ce que cela a commencé ? Il me faut trouver le point de départ, d’analyser les faits, et d’y trouver une réponse.  Je n’en peux plus, mes nerfs lâchent alors que je devrais être encore plus forte. Il le faut, je n’ai pas le choix. Mon fils a besoin de moi et j’en suis incapable.

Les larmes montent, je pleure en silence en observant ce petit bout qui a si vite grandit, trop peut-être.

Dans la poche de mon blouson, je sors cette lettre, celle que ma mère m’a envoyée à la naissance de Paco.  Je la relis encore une fois.

« 31 décembre 2004

Bienvenida,

Lorsque j’ai appris que tu étais enceinte, j’ai prié pour toi. La peur m’a envahit, la tristesse aussi. Je sais à quel point tu souhaitais devenir maman, je sais combien tu l’as désiré et attendu. Quand enfin, tu as eu en toi la vie, j’ai tant espéré que cette enfant soit une fille. Dieu ne m’a pas écouté, toi non plus. Pourtant, il faut que tu entendes l’histoire de ta famille. 
T’es tu demandé pourquoi nous n’étions que des filles dans notre famille ? T’es tu aperçue de cette façon que nous avons de percevoir les choses ?

Je sais que tu ne veux plus rien à faire avec moi, tu m’en veux de t’avoir abandonné. Je le comprends, mais il faut absolument que tu m’écoutes. Nous devons parler toutes les deux, je dois te délivrer les raisons de cette abandon, je me dois de te donner la vérité. Cette terrible vérité qui va à ton tour te frapper de pleins fouets.

Tu vas certainement ignorer cette lettre, comme toutes celles que je t’envoie. Mais s’il te plaît, je t’en supplie, Bienvenida, viens me retrouver  à Elven. 

Je t’embrasse ma fille, tu es mon cœur, mon âme, ma chair.

Maman. »

C’est étrange de relire cette lettre, je sens l’espoir de trouver enfin la clé de ce mystère. Ma solution c’est elle,  plus de 8 ans que je ferme les yeux, par fierté, orgueil, colère aussi, mais là je saisi enfin l’importance de cette missive. Il est temps pour moi d’affronter mon passé. 

© Mimilie/O Négatif. page 5.

Il est tard. Minuit je pense. Peut-être même une heure, c’est déjà demain. Elle dort dans ses appartements, Antoine est au lit, angoissé encore, les souvenirs de sa mère qui ressurgissent, mon fils est angoissé et je n’aime pas ça. Puis moi au milieu de tout cela, assis dans mon salon, dans le silence, les yeux qui découvrent un décor que je connais pourtant, je suis chez moi et pourtant je me sens terriblement étranger.

Le temps passe longuement. Je n’ai absolument pas envie de rejoindre mon lit, absolument pas l’envie de me blottir dans le noir. Ce soir je suis mal, je ne vais pas bien. Je viens de vivre une journée déroutante, accepter cette femme et son fils dont j’ai besoin pour la suite de mes travaux, de mon projet, cette femme si directe, si froide et pourtant si charismatique. Il faut dire que depuis la mort de ma femme je ne suis plus habitué à ressentir, c’est la première fois que j’ai une sensation si forte en moi, il va falloir me concentrer, je suis son employeur, et je me sens à fleur de peau et je déteste cette sensation.

C’est étrange dans quelques heures nous allons nous croiser de nouveau et je suis terriblement angoissé. J’ai peur. Le mot est lâché, j’ai peur. Je vais finir par fermer les yeux et m’endormir dans la lumière de la salle et attendre le jour.

Il vient de crier, très fort, très longuement, je viens juste de sortir de mon sommeil, je file vers lui à tout allure, je ne reconnais pas la voix de mon fils et pourtant c’est bien lui, assis au fond de son lit, il hurle, il est en train de pleurer.

Le temps de le calmer, de prendre le temps, de lui lire une histoire, de l’emmener avec moi dans le salon. La lumière vient de le calmer immédiatement.  Et moi face à cette lumière je sursaute, la joue de mon fils et encore en sang, la plaie vient de s’ouvrir de nouveau, il saigne et pourtant il semble surpris que je le soigne.

Antoine à juste le temps de me glisser une phrase à l’oreille avant de s’endormir. Mon fils va dormir dans mes bras. « Papa c’est pas moi, ma joue c’est pas moi…je ne veux pas être demain, plus jamais, pas comme ça… »

Nous sommes déjà demain. Je comprendrais bien après qu’il est déjà trop tard.

© Leshaker/O Négatif. Page 6. 

Fin du chapitre 1 En direction d'Elven.