Une matinée à New York, quatre fantômes apparaissent là où un vieil immeuble de 80 ans vient d’être remplacé par un autre, flambant neuf.
L’album est le récit de la vie de ces quatre esprits ayant vécu dans l’immeuble disparu.
Monroe Mensh, célibataire mène une existence de routine. Il ne se mêle jamais des affaires des autres, jusqu’au jour où un enfant est tué d’une balle perdue devant lui, à la sortie de l’immeuble. Dès lors Mensh n’a plus qu’une idée fixe, celle de sauver les enfants. Il démissionne, mendie pour une association de bienfaisance jusqu’à offrir son sang pour l’un d’eux mais en vain. Il échoue toujours dans sa tâche
«Le petit cortège qui transportait les restes de Mensh passa lentement devant le nouvel immeuble. C’est à peine si on le remarqua au milieu de la circulation dense du carrefour.»
Gilda Green, la beauté du campus, aime Benny le poète mais préfére épouser le dentiste de l’endroit, plus riche. Les années passent et Gilda et Benny se retrouvent tous les mercredis pour déjeuner devant l’immeuble jusqu’au jour où elle n'apparaîtt plus devant la nouvelle construction. Benny se précipite chez le mari qui lui apprend la nouvelle…(impossible d'en dire plus!)
Antonio Tonatti: le petit violoniste choyé par ses parents ne joue plus que devant la porte de l’immeuble après un accident du travail. Il rend heureux les habitants jusqu’à la construction du nouvel édifice.
P.J. Hammond, le propriétaire, a fait de son immeuble son obsession et par là-même son malheur.
«et maintenant le nouvel immeuble commence sa vie…accumulant son propre savoir…jusqu’au jour où il sera détruit à son tour et remplacé par un autre.»
La fin tient du fantastique.
C'est une délicieuse succession d’histoires de vies quotidiennes et banales d’un temps passé mais qui se poursuivent sans cesse au même endroit , devant le nouvel immeuble. La foule défile toujours indifférente et pourtant il s’en passe des choses au carrefour du building!
J’ai beaucoup aimé ce roman graphique en quatre vies.
En vivant des années dans une grande ville, l’homme développe petit à petit un sens du miracle: il s’y passe tellement de choses inexpliquées, qui semblent magiques.A l’époque où je grandissais dans la turbulence de la vie citadine, il me suffisait d’une vigilance de surface pour m’accommoder du fatras de changements qui déferlait. Il n’y avait guère de temps pour réfléchir au rapide remplacement des gens et des immeubles. J’ai fini par trouver ça tout naturel. Plus tard, vieillissant et accumulant des souvenirs, j’ai fini par ressentir plus vivement les disparitions des personnes et des points de repère. Ce qui me troublait le plus, c’est l’insensible déplacement des immeubles. Comme si, en quelque sorte, ils avaient une âme.Je sais maintenant que ces structures, mêlées de rire et tachées de larmes, sont bien plus que des édifices sans vie. Il n’est pas possible qu’ayant partagé des vies, elles n’aient de quelque façon absorbé les radiations de l’interaction humaine.Et je me demande ce qu’il reste, quand un immeuble a été rasé.»Will Eisner, Floride, 1987.
Will Eisner, Le Building (Éditeur : Rackham, 1999, 80 pages)
Traduction : Sidonie Van den Dries)