Maffre - Actes Sud BD - 2012
« Le bidonville Rue de la Garenne, dit la Folie, le plus vaste – 21 hectares – et le plus insalubre des bidonvilles de Nanterre, se situait sur les terrains de l’Etablissement Public pour l’Aménagement de la Défense (l’EPAD). Comme d’autres bidonvilles de Nanterre, le 7 Rue d’Equéant, Les Pâquerettes, le Petit Nanterre, il était relégué aux portes de Paris. En 1962, environ mille cinq cent ouvriers « célibataires » et quelques trois cent familles u habitaient, sans électricité, et sans eau courante. Pour tous, il n’y avait qu’une seule fontaine et qu’une seule adresse administrative : le 127 Rue de la Garenne » (Demain, demain)
Soraya est arrivée à Paris le 1er octobre 1962. Elle a fait le voyage avec Ali et Samia, leurs enfants. A l’aéroport, et parce que Kader n’arrivait pas, elle a fait comme il a dit. Elle a tendu le bout de papier qu’il lui avait donné la dernière fois qu’il était venu au bled et, comme il avait dit, elle a prononcé « Taxi ? ». Le taxi l’a emmenée, elle a traversé Paris, ses monuments. Les maisons se sont espacées, puis ont laissé place aux immenses terrains vagues et aux chantiers de construction. Dans le bidonville, son époux l’a conduite jusqu’à leur maison. Attendre, toujours attendre en espérant pouvoir sortir un jour de cette cabane sans eau courante ni électricité.
D’ici-là, il faut gérer le quotidien, les enfants, la nostalgie du pays… et comprendre ce que Kader a vécu depuis qu’il est en France… En Algérie, on croyait qu’il ramassait l’argent par terre et qu’il avait un bel appartement avec vue sur Paris.
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Depuis quelques mois, j’éprouve de l’intérêt à lire des albums qui relatent la situation en Palestine ; les albums de Joe Sacco et Max Le Roy sont mes principales sources d’approvisionnement. Depuis quelques temps, j’ai également débuté une série de lecture sur l’immigration, essentiellement l’immigration magrébine des années 1950 à 1970. Je crois que le premier titre lu et qui se référait aux événements d’octobre 1961 était Meurtres pour mémoire. Plus récemment, j’avais eu envie d’échanger sur Les Mohamed. C’est cet ouvrage qui a été déclencheur et motivé mes recherches pour en lire (et en apprendre) plus encore sur ce sujet. Maintenant, je vais certainement m’orienter vers Octobre noir à moins que vos suggestions ne m’ouvrent de nouvelles pistes de lecture.
Laurent Maffre a commencé son parcours d’auteur BD en publiant dans la revue Shot. Publié en 2006, son premier album – L’homme qui s’évada – est une adaptation de l’ouvrage éponyme d’Albert Londres. Pour réaliser Demain, demain, il s’est servi des archives de Monique Hervo (que l’on voit d’ailleurs intervenir sur quelques scènes de l’album) ; en seconde partie de l’ouvrage, un texte de Monique Hervo, 127, Rue de la Garenne, qui contient ses photographies et quelques témoignages des immigrés qu’elle a côtoyé de nombreuses années à La Folie.
Par l’intermédiaire d’une famille algérienne, on suit donc l’histoire qui est celle de centaines de familles immigrées. Le prologue est le même : le chef de famille quitte le bled pour la France et son besoin de main-d’œuvre. Il envoie la majeure partie de son salaire à sa famille et passe moins de deux mois par an en leur compagnie. Quelques années plus tard, ils le rejoignent en France et constate avec effroi que leurs conditions de vie sont pires qu’au bled. Puis, c’est l’attente d’un relogement. Et pendant ce long laps de temps : l’humiliation d’être ignorés, la honte, le racisme…
L’histoire commence pour nous le 1er octobre 1962, jour de l’arrivée en France de Soraya et de ses deux enfants. Les 140 pages du récit principal emmèneront le lecteur jusque 1966, date à laquelle la famille est relogée dans un Centre de transit. Le récit contient de nombreux flash-back : souvenirs du personnage principal depuis son arrivée en France jusqu’à celle de sa femme, souvenirs du couple et de leurs amis en Algérie. Pas ou peu de voix-off si ce n’est certains encarts hors contexte, écrits par Laurent Maffre et présentant le contexte socio-politique ou décrivant le paysage de la Rue de la Garenne à l’époque des faits.
Pour illustrer son histoire, un trait fin et très fouillé. Un style graphique que je rapproche de celui de Simon Hureau. Les cases ont affranchies de contours, le blanc est une composante principale de la construction et introduit tantôt ses angoissantes effluves, tantôt la beauté de l’instant présent. Les descriptions visuelles sont détaillées, minutieuses. Elles rendent compte d’une émotion, d’une étendue (ce terrain vague est imposant, au moins autant que les engins de chantier qui creusent, aplanissent, amassent les monticules de terre et les déverse à la limite du bidonville, comme pour l’enterrer et le cacher à la vue du monde pour reprendre le constat formulé par un des protagonistes de l’histoire). Comme Hureau, le dessin a un cachet rare, ceci est certainement dû à la richesse des détails présents (les motifs d’un vêtement, l’étal d’un bouquiniste sur les Quais de Paris…), ce qui aide à recréer l’ambiance d’époque.
Une lecture que je partage avec Mango et les lecteurs BD du mercredi
Les Globe-croqueurs : blog (latent) sur lequel Laurent Maffre a publié certains de ses croquis.
Un article mis en ligne sur le site de l’éditeur présentant l’album (+ video à visionner).
Les chroniques : Revue XXI, Argali, Union sociale pour l’Habitat et Gridou.
Extraits :
« La Maison Départementale de Nanterre a été construite aussi loin que possible de la population. Dans la même enceinte, dans les années 1960, on trouve un hôpital et une prison désaffectée. Le bâtiment disciplinaire dépend désormais de la Préfecture de Police. Ils l’ont reconverti en Centre d’hébergement provisoire mais pour nous, c’est le pénitencier de La Misère. Les cellules ont l’eau courante et le chauffage. Mais on y place, dans la promiscuité, les familles, les marginaux, les nécessiteux. C’est là qu’ils purgent l’étrange peine que la société française inflige à ses sans-logis. Quant à la seconde non-solution. Le père et séparé de sa famille. Envoyé au Centre Nicolas Flamel avec les vagabonds. Sa femme et ses enfants sont placés ailleurs. Au Centre d’Accueil Pauline Roland à Paris. Si les enfants ont moins d’un an, la mère peut les garder avec elle. Sinon, on place ses gamins à l’Assistance Publique » (Demain, demain).
« Khelifa : J’ai le pays devant mes yeux. Alors que je marche sur un trottoir parisien sous la pluie, une forte bourrasque me rappelle que chez moi, le soleil me dardait le visage, me cuisait la peau. Ici, tout est gris, noirâtre. Au pays, tout est couleur de sable, puisqu’il pénètre tout » (127, Rue de la Garenne de Monique Hervo).
Demain, demain
-Nanterre – Bidonville de la folie, 1962 – 1966 -
One Shot
Éditeur : Actes Sud BD
Co-édition : ARTE
Dessinateur / Scénariste : Laurent MAFFRE
Dépôt légal : mars 2012
ISBN : 978-2-330-00622-8
Bulles bulles bulles…
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