Depuis le mythique débat ayant opposé, en 1960, Richard Nixon à John Kennedy, les observateurs de la vie politique se posent régulièrement la question de leur impact sur l’opinion publique à la veille des scrutins. Aux États-Unis, l’affaire est entendue depuis longtemps : les débats ont un effet très limité pour les électeurs car ils interviennent tard dans la campagne, à un moment où l’opinion de la grande majorité est faite. Au mieux, le candidat le plus incisif ou le plus clair peut espérer engranger quelques points dans les sondages, mais cet avantage ne dure pas plus de quelques jours : l’impact positif ou négatif des débats sur l’évaluation des candidats est vite oublié par l’opinion. Ainsi, John Kennedy n’a-t-il pas gagné l’élection présidentielle de 1960 grâce à sa bonne prestation lors du débat télévisé, tout simplement parce que sur les trois débats suivants, l’un a été considéré comme un match nul et les deux autres comme des victoires du candidat républicain.
En France, où les débats n’ont pas lieu plusieurs semaines avant l’élection, mais quelques jours avant le second tour, leur effet est encore plus limité, pour ne pas dire nul. Ainsi, le 10 mai 1974, le premier débat présidentiel opposant V. Giscard d’Estaing à F. Mitterrand a-t-il été considéré comme une victoire du candidat de droite. Ce dernier, mieux au fait des techniques de communication, aurait pris l’avantage grâce à sa célèbre « petite phrase » sur le « monopole du cœur ». Les sondages ne semblent toutefois pas indiquer de basculement de l’opinion à la suite de cette rencontre télévisée. Une enquête de la Sofres réalisée les 6 et 7 mai montrait que le ministre des Finances devançait son adversaire socialiste d’un cheveu avec 51% des voix. L’enquête suivante, datée du 11 mai, lui donnait 51,5% des suffrages, soit une hausse de 0,5 point. Cette progression est tellement limitée au vu de la marge d’erreur inhérente aux sondages qu’on ne peut ni dire qu’elle est liée au débat, ni même qu’elle existe réellement. D’ailleurs, la dernière enquête de la Sofres, rendue publique le 14 mai, indiquait une baisse de V. Giscard d’Estaing (50%, -1,5 point). Le constat est globalement le même dans les études réalisées par l’IFOP : crédités tous deux de 50% des voix le 9 mai, les deux candidats restent exactement au même niveau le 13 mai : l’effet du débat a donc été nul sur l’électorat. Seul l’institut Publimétrie semble attribuer à cet épisode de la campagne une certaine part de la dynamique ayant conduit à la victoire de V. Giscard d’Estaing. Son étude du 8 mai donne en effet F. Mitterrand vainqueur d’une courte tête (51%), alors que le sondage rendu public après le débat, le 15 mai, inverse exactement la situation, le candidat socialiste étant évalué à 49% des voix. Il n’empêche que, tout au long de la courte campagne engagée après le décès de G. Pompidou, V. Giscard d’Estaing a fait la course en tête : un seul sondage a donné F. Mitterrand vainqueur (l’enquête Publimétrie du 8 mai), alors que sept sondages l’ont mis en tête et quatre à égalité avec son adversaire socialiste.
Sept ans plus tard, l’impact du débat opposant à nouveau V. Giscard d’Estaing et F. Mitterrand est plus difficile à établir étant donné l’absence de sondages rendus publics dans l’entre-deux tours. Une enquête confidentielle de la Sofres montre certes une progression de deux points (de 50% à 52%) de F. Mitterrand entre le 15 avril et le 7 mai. Cependant, bien des évènements se sont produits dans l’intervalle qui peuvent expliquer cette hausse, parmi lesquels un premier tour qui a pu rassurer les centristes et les gaullistes hostiles au Président sortant étant donné le faible score du candidat communiste. Il est donc difficile d’établir l’impact du débat de 1981.
En 1988, 1995 et 2007, si les débats ont pu provoquer des évolutions très mineures dans les intentions de vote, ils n’ont jamais permis aux challengers successifs de remettre en cause le statut du candidat faisant la course en tête. En 1988, F. Mitterrand, qui de l’avis général avait largement dominé J. Chirac lors du débat, perdait un point dans les enquêtes réalisées par la Sofres et la BVA les jours suivants : une chute très limitée pour un candidat qui n’avait jamais été réellement menacé par J. Chirac tout au long de la campagne. En 1995, un débat très feutré n’avait pas permis à L. Jospin de mordre significativement sur l’avance de J. Chirac, lui prenant seulement un point dans les sondages Sofres et BVA réalisés dans la foulée de la rencontre. Enfin, il y a cinq ans, le débat semble avoir accentué l’avance de N. Sarkozy sur S. Royal, mais là encore de manière très limitée : seuls deux sondages sur cinq indiquent une chute des intentions de vote en faveur de la candidate socialiste supérieure à un point.
L’évolution des intentions de vote pour les candidats de gauche avant et après les débats présidentiels
Cette année, la situation politique à quelques jours du second tour est telle qu’on voit mal comment le débat pourrait rebattre les cartes. L’avance de F. Hollande dans les sondages est certes en légère baisse, mais elle reste considérable, puisqu’il obtiendrait entre 53% et 55% des suffrages selon les instituts. Il a cinq ans, plusieurs enquêtes réalisées dans les derniers jours d’avril donnaient N. Sarkozy en tête, mais avec un avantage légèrement moins important : 52% pour TNS Sofres, LH2, CSA ou BVA, 52,5% pour l’Ifop, 53% pour IPSOS.
La configuration actuelle est d’autant plus difficile à modifier pour le Président sortant que l’immense majorité de l’électorat est désormais certaine de son choix. Selon IPSOS, 90% des électeurs de N. Sarkozy comme de F. Hollande sont désormais certains de leur choix. Ces chiffres seraient respectivement de 88% et 94% selon TNS Sofres et de 86% et 89% selon LH2. Ainsi, pour le Président sortant, la seule réserve de voix susceptible de lui apporter la victoire se trouve dans les abstentionnistes du premier tour ainsi que dans les indécis.
Il faudrait cependant que ces deux groupes se rendent massivement aux urnes et qu’ils penchent largement en sa faveur pour que N. Sarkozy puisse espérer l’emporter. Le débat pourrait l’y aider, mais les précédentes rencontres télévisées entre les deux candidats semblent plutôt augurer d’un match nul. Surtout, l’insistance de N. Sarkozy à demander la tenue de trois débats et son assurance face à un candidat socialiste jugé imprécis tranchent singulièrement avec l’attitude des candidats aux élections présidentielles américaines. Ces derniers cherchent avant tout à minimiser leur expérience en ce domaine et à assurer que leur adversaire est rompu à ce genre d’exercice afin qu’une performance même médiocre devienne pour les commentateurs une agréable surprise. Ayant choisi une approche radicalement différente, N. Sarkozy doit nettement dominer F. Hollande pour espérer tirer du débat une dynamique. Mais en se fiant au passé, il semble peu probable que cela lui suffise pour obtenir sa réélection.