L’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958
Le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel est inscrit à l’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958, lequel dispose à ce jour :
« Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.
Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par une loi organique ».
L’article 7 de cette même Constitution précise que l’élection du Président de la République est réalisée en fonction d’un scrutin majoritaire à deux tours, lequel renforce considérablement le phénomène de bipolarisation de la vie politique française :
« Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, le quatorzième jour suivant, à un second tour. Seuls peuvent s'y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour ».
La Constitution de la Vème République n’a pas tout de suite prévu que le Chef de l’Etat soit élu au suffrage universel direct, c’est-à-dire par les citoyens eux-mêmes et non par leurs représentants. De 1958 à 1962, aux termes de l’article 6 de la Constitution, le Président de la République était élu par un collège d’environ 80 000 « grands électeurs » et non par les citoyens eux-mêmes, directement. Le texte originel de l’article 6 disposait :
« Le Président de la République est élu pour sept ans par un collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des Territoires d'Outre-Mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux.
Ces représentants sont :
- le maire pour les communes de moins de 1000 habitants ;
- le maire et le premier adjoint pour les communes de 1000 à 2000 habitants ;
- le maire, le premier adjoint et un conseiller municipal pris dans l'ordre du tableau pour les communes de 2001 à 2500 habitants;
- le maire et les deux premiers adjoints pour les communes de 2501 à 3000 habitants ;
- le maire, les deux premiers adjoints et trois conseillers municipaux pris dans l'ordre du tableau pour les communes de 3001 à 6000 habitants ;
- le maire, les deux premiers adjoints et six conseillers municipaux pris dans l'ordre du tableau pour les communes de 6001 à 9000 habitants ;
- tous les conseillers municipaux pour les communes de plus de 9000 habitants ;
- en outre, pour les communes de plus de 30 000 habitants, des délégués désignés par le conseil municipal à raison de un pour 1000 habitants en sus de 30 000.
Dans les Territoires d'Outre-Mer de la République, font aussi partie du collège électoral les représentants élus des conseils des collectivités administratives dans les conditions déterminées par une loi organique.
La participation des États membres de la Communauté au collège électoral du Président de la République est fixée par accord entre la République et les États membres de la Communauté.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par une loi organique ».
Ainsi, depuis 1958, le texte de l’article 6 de la Constitution a connu trois corrections importantes :
- Le Président de la République est élu au suffrage universel direct, depuis la révision opérée à la suite du référendum du 28 octobre 1962
- Le Président de la République est élu pour cinq ans et non plus sept, depuis la loi constitutionnelle no 2000-964 du 2 octobre 2000, adoptée elle aussi à la suite d’un référendum décidé par le Président Jacques Chirac ;
- Le Président de la République ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs, depuis la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 dite « de modernisation des institutions de la Ve République »
Un procédé démocratique ?
L’élection du Président de la République au suffrage universel direct est tenue aujourd’hui pour la preuve du caractère démocratique de notre régime démocratique. C’est oublier un peu vite l’histoire de notre pays. Il n’en a pas toujours été ainsi : ce procédé électoral a pu être jugé tout à fait contraire à la condition même d’une démocratie : l’équilibre des pouvoirs.
Pourquoi les auteurs du texte originel de la Constitution de la Vème République n’ont-ils pas tout de suite prévu que le Président de la République serait élu au suffrage universel direct ? La réponse tient à ce que ce mode électoral a longtemps été considéré – ce que nous avons tout à fait oublié – comme très peu démocratique.
Rappelons que la Constitution de la Vème république n’est pas tout à fait la première à avoir organisé l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. L'élection du Président de la IIème République devait se faire au suffrage universel direct mais masculin. La Constitution du 4 novembre 1848 précisait en effet, à son article 46 :
« L'élection a lieu de plein droit le deuxième dimanche du mois de mai. - Dans le cas où, par suite de décès, de démission ou de toute autre cause, le président serait élu à une autre époque, ses pouvoirs expireront le deuxième dimanche du mois de mai de la quatrième année qui suivra son élection. - Le président est nommé, au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, par le suffrage direct de tous les électeurs des départements français et de l'Algérie ».
Le choix de procéder à l’élection désignation du Président de la République au suffrage universel direct masculin pour un mandat unique est au nombre des causes du coup d’État du 2 décembre 1851 à la suite duquel Louis-Napoléon Bonaparte instituera le Second Empire. L’élection du Président de la République au suffrage universel direct, en créant un déséquilibre des pouvoirs et en renforçant la personnalisation excessive du pouvoir a été profitable, non à la démocratie mais au bonapartisme, lequel n’est pas sans influence sur les institutions de la Vème République. En d’autres termes, dans notre histoire, c’est le régime parlementaire qui a généralement été considéré comme le plus conforme à l'exigence d'un fonctionnement démocratique des institutions politiques et non le régime présidentiel.
On me rétorquera, de manière très classique, que le Président des Etats-Unis est élu au suffrage universel à la tête d’un pays considéré comme le symbole d’une démocratie. Reste que le Président des Etats-Unis est celui d’un Etat fédéral et non d’un Etat centralisé comme en France et qu'il est en réalité élu au suffrage universel indirect. Par ailleurs, les Présidents des conseils régionaux français ne représentent pas le même type de contre-pouvoir que les gouverneurs américains des Etats fédérés.
La présidentialisation du régime
Les dysfonctionnements objectifs mais aussi la caricature qui a été faite des institutions des III et IVème Républiques a permis le retour du régime présidentiel. L’élection au suffrage universel direct, depuis 1962, a considérablement renforcé cette évolution. La médiatisation de la vie politique, le triomphe de la communication, ont à leur tour imposé le besoin de personnaliser le pouvoir et de l’identifier à un homme, dont les faits, les gestes et même les amours sont sans cesse épiés et relayés par la presse.
A ce titre, le quinquennat de Nicolas Sarkozy restera comme celui qui aura permis un renforcement du caractère présidentiel du régime. Certes, quelques réformes ont bien été mises en place pour contrebalancer la concentration extraordinaire des pouvoirs aux mains d’un seul homme. Mais les quelques concessions accordées en 2008 au parlement ne pèsent guère en contrepoint de l’appétit féroce des médias pour l’incarnation du pouvoir dans le corps d’un homme. Au demeurant, qu’ils aient été « de droite » ou « de gauche », « pro » ou « anti » Sarkozy, nombre de médias ont versé dans une relation d’amour/haine pour la personne du Chef de l’Etat, avec pour point commun une absence de remise en cause, non pas des décisions prises mais bien du principe même de la présidentialisation des institutions.
Dès lors, s’il est difficile de définir le « sarkozysme » comme une doctrine économique précise, force est de constater que cette expression pourra désigner, pour les historiens, ce moment de notre histoire où le Chef de l’Etat est redevenu un quasi monarque, dont les attributions sont à certains égards bien supérieures à celles de bien des monarques qui ont pu régner par le passé. Certes, le souverain républicain est critiqué, voire même parfois vilipendé avec force, mais les rois l’étaient également. Au demeurant, cette critique porte sur l’exercice du pouvoir, non sur son fondement. Elle demeure dès lors très superficielle même et peut être surtout de la part de celles et ceux qui se revendiquent, aux extrêmes, d’une pensée politique radicale.
Les candidats à la présente élection n’ont pas fondamentalement remis en cause la présidentialisation de la Vème République et la personnalisation du pouvoir. Si le candidat de gauche se prévaut de « l’Etat exemplaire », il ne questionne pas la présidentialisation des institutions et n’a jamais promis un quelconque débat sur les instruments juridiques qui ont rendu possible cette dérive, à commencer par l’élection directe du Président de la République. De l’extrême gauche à l’extrême droite, tous les partis politiques se gardent bien de toucher à cette idée reçue selon laquelle l’élection présidentielle au suffrage universel direct serait le gage de notre démocratie. Cette situation démontre l’empreinte considérable et persistante du gaullisme sur les esprits. D’aucuns diront, non sans motifs, qu’il en est de même d’un certain bonapartisme.
Les inconvénients de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct
L’absence de critique et de débat sur le fondement de l’exercice du pouvoir par le Président de la République élu au suffrage universel direct est regrettable. Car celui-ci présente bien des inconvénients dont la campagne électorale qui s’achève a souligné l’existence.
En premier lieu, l’élection présidentielle contribue à une personnalisation du débat et à son appauvrissement. L’élection d’un homme – pas encore d’une femme – pour ce qui est considéré par la plupart des professionnels politiques comme le « poste suprême » - a pour conséquence première de substituer à la bataille des idées, une querelle de personnes et de réduire le débat public aux qualités ou défauts présupposés d’une personne.
Au cours de la campagne qui s’achève, les enjeux clés de notre avenir commun auront été très rarement voire jamais évoqués, de manière approfondie : refondation de l’europe, multipolarisation du monde, changement climatique, crise de l’énergie, effondrement de la biodiversité, prise en compte des territoires, droits des femmes … autant de sujets peu ou pas abordés lors de la campagne. A titre d’exemple, le débat économique aura généralement été réduit à des chiffres, courbes et « powerpoints » sans grand rapport avec la complexité inhérente au sujet. En définitive, les programmes des candidats s’apparentent parfois à des catalogues de mesures de gestion d’une crise qui n’en est plus une, sans esquisse véritable d’un projet de société dans un contexte de basculement du monde vers une nouvelle économie.
En second lieu, l’élection présidentielle au scrutin majoritaire à deux tours a pour effet premier une bipolarisation laquelle a pour effet de maintenir le clivage droite/gauche vivace. Il est frappant de constater avec quelle insistance chacun est sommé de « choisir son camp » comme si nous étions en temps de guerre. Malheur aux indécis, peu à l’aise avec ce folklore électoral, qui seront immanquablement soupçonnés de n’être pas complètement engagés, c’est-à-dire complètement honnêtes. Malheur à ceux qui sont perplexes sur la pertinence du clivage droite/gauche et l’utilité d’exprimer tous les cinq ans son amour non pour des idées mais pour un individu.
Il n’est pas inutile de souligner ici ce propos de Jérémy Rifkin, dans son dernier ouvrage sur la « Troisième Révolution industrielle » :
« il semble qu’un nouvel état d’esprit émerge chez les responsables politiques des jeunes générations qui ont été socialisées sur internet. Leur politique se structure moins en termes de « droite » ou de « gauche » qu’autour d’un nouveau clivage : « centralisé et autoritaire » contre « distribué et coopératif ». Et c’est logique » (P 199).
L’élection présidentielle au suffrage universel direct est peu propice à l’épanouissement de ce type d’analyse. Protectrice de la figure du Chef de l’Etat et donc d’un Etat central fort lui-même, elle ne permet pas l’élection d’un candidat qui fonderait son discours sur la complexité et sur les territoires. L’élection présidentielle témoigne et garantit que la France reste attachée à un modèle étatique et à un clivage droite/gauche qui n’est peut-être plus complètement adapté aux enjeux contemporains.
Plus grave, cette bipolarisation de la vie politique aboutit en réalité à une fracture, à une fragmentation de l’opinion publique elle-même, à l’apparition d’une faille entre partisans et opposants du futur Chef de l’Etat qui « règnera » sur la France. Il est frappant de constater avec quelle force s’exprime parfois, lors de cérémonies que l’on appelle des meetings politiques, la foi quasi religieuse envers un homme et le rejet envers un autre. L’électricité qui émane des défilés du 1er mai, à l’occasion de la fête du travail, témoigne également du risque pris par celles et ceux qui exacerbent des prises de position tranchées et définitives.
En troisième lieu, force est de constater que le carnaval de l’élection présidentielle offre une tribune idéale aux idées simplistes. Si l’écologie politique qui procède de l’idée de complexité n’a jamais réussi à prospérer dans ce contexte électoral précis, il n’en va pas de même des idées autoritaires, nationalistes ou tout simplement démagogiques. Apologie du repli sur soi, nostalgie d’une France éternelle, oubli du reste du monde, préférence pour les polémiques (viande hallal, permis de conduire..), l’ambiance intellectuelle actuelle n’est pas toujours réjouissante.
Enfin, quel que soit les mérites du Président élu, l’espoir formidable qu’il suscite à chaque élection, le rêve de ses électeurs/trices qu’il puisse « changer la vie », sera sans doute déçu, quelle que soient l’honnêteté et la détermination de l’élu. Déçu car l’élection présidentielle est une élection régionale et que le Chef de l’Etat n’est pas le Père Noël. Le Chef de l’Etat doit compter avec le reste du monde et n’est pas affublé de pouvoirs magiques. Le paternalisme de l’élection présidentielle ne peut faire oublier que le destin collectif d’une nation ne peut reposer sur les épaules d’un seul homme ou d’une seule femme.
Il est donc d’usage de considérer que le Président élu disposera d’un « état de grâce » - vocabulaire intéressant -, soit une période très courte – quelques semaines - au cours de laquelle il pourra réaliser certains de ses engagements. Passée cette période, l’histoire se répète : un « tournant de la rigueur » sera pris, lequel rappellera que les marges de manœuvre du Chef d’un Etat concurrencé par bien d’autres pouvoirs - politiques ou économiques - sont aujourd'hui assez réduites.
Au terme de ce bref – ou trop long – exposé de l’ancien chargé de travaux dirigés en droit constitutionnel que j’ai été, ma conviction est qu’il serait utile de débattre du principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Certes, les français(e)s semblent très attachés à cette élection qui rythme depuis 1962 la vie démocratique du pays.
Toutefois, ce débat aurait pour mérite de remettre cette opération électorale dans une perspective historique et de rappeler qu’elle présente de grands inconvénients dont certains ont été brièvement rappelés. Ce débat permettrait peut-être un véritable rééquilibrage des pouvoirs indispensable à la qualité de la Loi.