Rendez-vous est pris à 13 heures, devant le palais omnisports de Paris-Bercy. Je suis arrivée en avance et depuis 20 min, une foule de plus en plus compacte se masse au pied des marches, déjà bondées. Les sorties du métro se gorgent à intervalles régulières. Un groupe de seniors affublés de pancartes, avec des autocollants collés sur leurs vêtements, se prennent en photo. Autour de moi, de nombreuses personnes attendent également quelqu’un, le portable à la main. Le soleil a répondu présent, l’attente est agréable, l’ambiance chaleureuse.
Notre petit groupe au complet, nous nous agglutinons comme les autres devant les entrées. L’ouverture des portes ne se fait pas attendre. Nous pénétrons dans le palais omnisports au bout de quinze petites minutes. « Tu as intérêt à voter François Hollande, mon frère ! », lance au passage une femme black à un vigile. Il sourit. « Seriez-vous intéressés pour faire du porte-à-porte près de chez vous ? » nous accueillent des volontaires, une feuille et un stylo à la main. Les refus pleuvent, mais dans la bonne humeur. Des pancartes rouges et bleues sont distribuées : « Vivement mai ! », disent-elles. Sur les côtés, des goodies sont alignés sur des tables. « Où peut-on trouver des drapeaux ? » demande-t-on. « A l’intérieur. »
La salle est encore peu remplie. Nous cherchons à nous rapprocher le plus de la scène, dans la fosse. Un vigile nous en empêche. Nous réessayons un peu plus loin : « Vous pouvez descendre, si vous restez. » La fosse n’est encore qu’un grand espace vaste et vide. Nous n’avons aucun mal à atteindre la scène. Autour de nous, la salle se remplie peu à peu. « Regarde, c’est Delanoë ! Et là, Eva Joly ! » Rechercher les personnalités politiques dans les gradins derrière nous nous occupe pendant quelques minutes. Beaucoup prennent des photos. Je préfère photographier quelques anonymes autour de moi avec leurs drapeaux encore au repos.
Les écrans géants diffusent le clip du meeting. La foule s’agite, danse, clame. Puis c’est au tour de François Hollande d’apparaître sur les écrans. La vidéo revient sur l’histoire de son engagement politique. Il commente lui-même les images en voix off. « Excellente sélection photo », fais-je remarquer à un ami. « Ils ont du faire un sacré tri ! » Je me dis intérieurement que j’aimerais faire au moins une photographie aussi réussie aujourd’hui.
A 14 heures, les deux speakerines du PS, Najat Vallaud-Belkacem et Aurélie Filippetti, arrivent sur scène. Les clameurs qui montent de la foule sont enivrantes. La voix forte de mon voisin de droite l’est beaucoup moins. Mais il parvient à faire reprendre aussitôt les slogans qu’il entame. « On a gagné ! On a gagné ! » s’écrit un jeune derrière moi. « On VA gagner », le corrige une femme d’un ton sec, mais avec un sourire. Dans la clameur ambiante, on ne distingue pas vraiment l’erreur, mais il ne faut pas se tromper.
Pendant deux heures, les artistes se relayent sur la scène, leurs prestations entrecoupées de longs remerciements pour les personnalités présentes dans la salle. Je joue à l’applaudimètre. Lionel Jospin s’en tire très bien, mais nous nous trouvons incapables de le repérer dans les tribunes. Certains se lèvent pour se faire acclamer, d’autres préfèrent se terrer sur leur chaise. A la cinquième chanson de Sanseverino, je commence à m’impatienter. Pas grand chose à photographier. Et il fait chaud.
« La peur, c’est fini ! » s’exclame Yaël Naïm, sa prestation terminée. Il y aura tout de même eu quelques mots politiques glissés entre deux chansons, histoire de préparer le terrain à celui que tout le monde attend maintenant avec impatience. A coté de moi, un grand type a sorti sa tablette pour filmer l’ensemble du discours. « S’il te plaît, ne me bouche pas la vue en filmant » je lui demande avec un sourire, prête à défendre mon champs de vision. Et à boucher celui des personnes derrière moi, à chaque fois que je dégainerai mon appareil photo.
Il est presque 16 heures. François Hollande est enfin annoncé. La foule est en liesse, je me prépare à prendre quelques photos pour saisir le moment. « Prends les drapeaux qui s’agitent », me glisse un ami. L’arrivée sur scène produit son effet. Hollande ne peut tout simplement pas en placer une pendant plusieurs minutes. Il est à quelques mètres à peine de nous, c’est agréable de pouvoir le regarder directement, et non pas à travers un écran. Je scrute son visage : il a l’air serein et l’agitation et les clameurs de la foule ne l’empêchent pas de rester concentré sur le discours qu’il s’apprête à prononcer. Je n’en comprends pas les premiers mots dans les décibels élevés qui m’entourent. Heureusement, sur l’écran géant, on peut le suivre grâce à une retranscription écrite en directe. Au bout de quelques secondes, je détourne le regard, perturbée par le décalage entre le son et le texte.
Mon voisin à la tablette me fait rire. A chaque phrase un peu forte prononcée par le candidat, il s’exclame avec de grands « Ouais ! ». Il assiste à la scène à travers ce qu’il filme, je me demande s’il écoute seulement le contenu du discours. Certaines envolées du candidat provoquent des clameurs enflammées et il faut parfois patienter plusieurs secondes avant de pouvoir à nouveau distinguer sa voix. Il remercie Jean-Luc Mélanchon et Eva Joly de leur soutien. Cette dernière s’est levée, acclamée joyeusement par la foule. Elle porte une veste bleue claire, qu’on distingue facilement. A ses côtés, Ségolène Royal, Martine Aubry, Lionel Jospin, Bertrand Delanoë, et d’autres, que je ne reconnais pas. Leur rassemblement, très symbolique, est régulièrement montré sur les écrans géants.
Le discours commence à être long. Je me retourne et prends quelques photos de la foule derrière moi. Les gens sont souriants. A côté, l’impassibilité des vigiles au pied de la scène est impressionnante. Je patiente en prenant d’autres photographies. « Vous voulez que je prenne une photo pour vous ? » me propose mon voisin de devant, qui remarque que je lutte à tenir mon appareil à bout de bras au-dessus de son épaule. C’est très gentil, mais non. Par contre, j’aimerais bien qu’il me cède sa place, mais je n’ose pas lui dire. A ma droite, un grand type et une petite dame ont entamé une discussion au sujet d’une phrase que Hollande a prononcé. « Vous faites un contre-débat ? » demande une jeune fille en plaisantant.
Arrive la fin du discours. Les drapeaux s’agitent plus que jamais. François Hollande rayonne en saluant la foule. Je n’en manque pas une miette. Il s’empare d’un drapeau tricolore, puis on lui tends un européen. « Il n’y a pas assez de drapeaux français et européens dans ses meetings » me fait remarquer un ami. J’acquiesce en pensant surtout à l’effet génial qu’ils donnent sur les photographies. La marseillaise retentit. Le moment est intense. Un de mes voisins à la voix forte tente de la chanter mais il ne connaît pas très bien les paroles. Je lui souris pour l’encourager.
Sous les clameurs qui ne cessent pas, François Hollande retourne au pupitre. « Quoi ?! Je pensais que c’était fini ! » râle un ami, accablé par la chaleur et la soif. « Il a peut être oublié de lire une page », je plaisante. Après ces quelques minutes de rab, il salue une dernière fois la foule puis descend de la scène. Nous sommes propulsés contre les barrières de sécurité et des mains se tendent en direction du candidat qui passent près de nous. Je rate les quelques photos que je tente de prendre. « Valérie Trierweiler m’a serré la main ! » se vante un jeune-homme. Derrière nous, la foule s’est déjà dispersée. L’air se fait plus respirable.
Nous empruntons la sortie la plus proche. C’est celle qui mène à la salle de presse. Juste au-dessus de nous, dans les gradins, des groupies se sont agglutinées aux barrières pour interpeller les personnalités qui passent : « Thomas ! Thomas ! » Le fils de François Hollande prend une photo avec l’une d’elles. Manuel Valls se livre à la même gentillesse. Des hommes arrivent soudainement pour former un cordon de sécurité et nous poussent en arrière contre des barrières. La vague qui suit Hollande passe devant nous, telle un raz de marée humain, et finit sa course dans la salle de presse, quelques mètres plus loin. « Je n’aimerais pas être au milieu. »
Il est 17 heures 30. « On peut sortir par là ? » nous demandons à un journaliste. Nous sommes accueillis par le soleil en franchissant les portes noires. Derrière les grilles, d’autres fans patientent. Des cars sont stationnés, en attente des militants qui sont venus des départements alentours. Je range mon appareil photo dans mon sac.
Sur le chemin du métro, entre deux discussions politiques, on me questionne : « Alors, tu as fais de belles photos ? »
Crédits photo : Fanny Virton Lavorel (tout droits réservés)