Au début des années quatre-vingt, Michael Porter, dans un ouvrage devenu classique[1], proposait deux grandes options pour les entreprises : la différenciation ou la domination par les coûts (Voir mon article du 29 mai 210 : Quelles sont les stratégies aujourd'hui possibles pour un imprimeur ?). Depuis quelques années, les discours autour de l’imprimerie semblent se concentrer principalement sur la réduction des coûts notamment pour répondre à la guerre des prix de plus en plus féroce sur le marché de l’impression.
Pour autant, les réponses des imprimeurs face aux difficultés qu'ils rencontrent aujourd’hui ne peuvent se traduire uniquement sous forme de réduction de coûts. Toutes les entreprises comme les imprimeries ont besoin de renouveler leur offre en permanence.
Ensuite, une politique de domination par les coûts n’est absolument pas antinomique de l’innovation. Celle-ci sera alors souvent orientée vers les procédés de fabrication, plus que vers les produits. Enfin, certaines imprimeries comptent sur la somme de petites innovations pour réduire les coûts de manière continue.
Qu’est-ce qu’une imprimerie innovante ?
Avant de répondre à la question, il est important de clarifier ce que l’on attend par innovation et de bien distinguer l’innovation de l’invention.
L’invention est, par exemple, la mise au point par HP de presses numériques Indigo de plus en plus performantes, de rotatives jet d’encre couleur ou monochrome de plus en plus rapides et flexibles[2]. L’innovation est, quant à elle, le moment où un imprimeur s’approprie la nouvelle technologie, se saisit de la nouvelle invention pour se différencier de ses concurrents. Ainsi, la société ISI Print, premier utilisateur de la rotative couleur HP T200 en France, transforme l’invention HP en innovation en proposant à ses clients toutes les avantages que cette nouvelle technologie jet d’encre offre aux éditeurs par la fabrication rapide et personnalisée de livres, de périodiques, de manuels ou de journaux …
L’invention représente la conception de quelque chose de nouveau, cela peut être des nouveautés technologiques comme citées auparavant mais aussi de nouvelles méthodes de production ou de nouveaux débouchés pour une imprimerie. Les nouvelles méthodes mises en avant dans la profession sont par exemple le « juste à temps » et la « production au plus juste » permettant de réduire l’importance des stocks et des délais de fabrication. Des nouveaux débouchés ont été par exemple ces dernières années la fabrication d’albums photographiques à la demande ou la création de magazine personnalisé à partir de plateformes web dédiées.
L’innovation représente alors la mise sur le marché et/ou l’intégration dans l’entreprise de ces inventions. Le « juste à temps » et la « production au plus juste » se traduiront par l’impression à la demande au sein des imprimeries qui auront réussi à automatiser leurs flux, à appliquer les fondements de la maison TPS (Voir mon article du 26 septembre 210 : L’impression à la demande et la maison TPS). Concernant les albums photographiques à la demande, ce sont principalement des sociétés travaillant en ligne comme e-Center, Photobox ou encore Domalbum qui ont su introduire ce concept sur le marché en innovant en permanence
Innover, pour quoi ?
Une imprimerie innovante choisit l’innovation comme mode de compétition, comme moyen de différenciation avec la concurrence existante.
Les facteurs clés de succès (FCS) : règles du jeu de l’industrie et objet de l’innovation
Une imprimerie innovante aura bien souvent une réflexion sur les facteurs clés de succès (FCS) qui ont cours dans la profession (et qui peuvent être différents en fonction de chacun des clients !). C’est-à-dire toutes les pratiques que l’ensemble des acteurs présents sur le marché ont peu à peu développées, instaurées, institutionnalisées. Il peut s’agir bien sûr des réglementations en vigueur, des normes d’impression aujourd’hui incontournables PSO/ISO12647 mais aussi de la relation avec le client dans le traitement de sa commande, avec les fournisseurs dans la gestion des matières premières ou de la sous-traitance.
Les facteurs clés de succès (FCS) : orienter l’innovation et casser les règles du jeu de l’industrie
Ainsi, grâce à l’identification des FCS, l’imprimerie innovante identifie les zones d’ombres pour créer de nouvelles règles, de nouveaux FCS. Il s’agit ainsi pour l’imprimerie de casser les règles du jeu de marché en créant des FCS émergents : l’impression interactive, citons par exemple la solution Tag&Play® développée par la société Impressions Modernes, l’impression de livres à l’unité, le crossmedia[3], la vente en ligne, la logistique, la gestion de produits annexes, …
Figure 1, les différentes configurations d’innovation envisageable pour une imprimerie
Innovation de produit versus innovation de procédé
Ainsi pour casser les règles en vigueur, certaines imprimeries se concentreront sur des « innovations de produit ou de service », d’autres davantage sur des « innovations de procédé ».
L’innovation de produit ou de service renvoie au développement et à la mise sur le marché d’un produit et/ou d’un service nouveau. Citons par exemple, la nouvelle plateforme de stockage, d'exposition et d'impression d'images Woaster.com[4] imaginée par l’imprimerie Havet. S'adressant directement aux internautes curieux, sensibles aux arts graphiques, à la photographie et à la mode, l’imprimeur propose à ces amoureux de l’image via cette plateforme Web l’impression de leurs photos sur toile ou sur d’autres supports tout aussi originaux.
L’innovation de procédé caractérise quant à elle la création d’un nouveau processus pour parvenir à un résultat, à un produit. La combinaison du Web et de l’impression en amalgame a permis par exemple l’apparition de nombreux sites de vente en ligne d’imprimés parmi lesquels Rapid-Flyer ou encore Vistaprint qui continue d’afficher depuis plusieurs années une croissance à deux chiffres.
Implication de cette typologie d’innovation pour l’imprimeur.
Dans la pratique, la distinction entre innovation de produits/services ou en termes de procédés est délicate à opérer : très souvent les innovations de produits s’accompagnent la plupart du temps d’une innovation de procédé. Des imprimeurs comme Exaprint ou Pixartprinting expliquent en effet leur succès par leur préoccupation à aborder ces deux types d’innovation de front : le développement de catalogues de produits innovants (réalisation d’impression sur des supports les plus variés, de la bâche, du plastique, des éléments de PLV, etc.) optimisés par un processus de commandes et de fabrication tout automatisé, informatisé et innovant! La figure 1 résume les différentes configurations d’innovation envisageables pour une imprimerie.
Innover : avec qui ?
L’imprimerie innove en proposant de nouveaux produits ou de nouveaux procédés. Cependant, peut-elle réellement innover seule ?
Très souvent, l’innovation est le fruit d’un partenariat avec un constructeur, une SSII, un cabinet de conseil, etc.
L’innovation ne se fait généralement pas seule et son développement implique très souvent le recours à des soutiens extérieurs. Le pôle d’innovation de l’imprimerie P2i porté par la structure Amigraf, organisme de formation continue dans les métiers de la chaîne graphique, est un très bel exemple d’initiative permettant aux imprimeries de labeur de moins de 20 salariés de profiter lorsqu’elle n’a pas toutes les compétences en interne pour innover.
BIOGRAPHIE
Management de l'innovation, Séverine Le Loarne, Sylvie Blancob