Après le MoMa à New York, Melbourne, Los Angeles et Toronto, le cinéaste dépose ses valises en Europe, à la cinémathèque française pour une exposition jubilatoire.
Le cadre
Il vous faudra vous armer de patience pour accéder à l’exposition, près de 3h le week end, une heure en semaine. Munissez-vous donc de billets coupe file… ou d’un bon bouquin…
Au 5ème étage de la cinémathèque, jusqu’au 31 août, 700 oeuvres ont pris place dans 6 pièces, aux couleurs sombres et à la décoration très simple, garantissant deux heures d’immersion dans l’univers de Tim Burton.
«Quand j’ai commencé à fréquenter les musées, j’ai été frappé d’y retrouver une atmosphère semblable à celle des cimetières. Pas parce qu’ils sont morbides, mais parce qu’il y règne un calme à la fois introspectif et électrisant»
L’expo prolixe d’un artiste pluridisciplinaire…
Tim Burton, réalisateur à succès
Pour retrouver l’univers de ses succès du box office, il vous faudra néanmoins attendre les trois dernières salles où sont projetés quelques extraits de films, des rushs test. On découvre surtout ses croquis et sculptures préparatoires, on reconnaît quelques costumes, dont celui d’Edward aux mains d’argent, on en découvre d’autres, comme la robe d’Eva Green dans le prochain film de Tim Burton, Dark Shadows.
L’exposition met en évidence l’importance du dessin dans le travail du cinéaste; pour chaque film, une multitude de croquis, de story boards s’amoncellent, et ce, même lorsqu’il ne réalise pas comme pour L’Etrange Noël de Mr Jack. Les histoires, les scénarios, découlent naturellement de ces personnages, et non l’inverse; le dessin est en lui même une narration. Il est ainsi certains de ces personnages mis à l’écran ont ainsi hantés l’imagination du cinéaste pendant plusieurs années. Mr Jack était ainsi à l’origine le personnage d’un poème écrit chez Disney, ayant évolué dans le temps comme en atteste tous les croquis qui lui sont consacrés.
L’exposition fait également la part belle à des travaux de réalisation bien moins connus, des court métrages, ou encore à des projets qui n’ont pas aboutis. Prenez ainsi le temps de regarder le téléfilm Hansel et Gretel, complètement délirant, ou encore la web série Stainboy, dont je vous livre un extrait…
Tim Burton a également mis son univers si particulier au service de la publicité ou encore de la musique.
Une boulimie de création…
L’exposition n’est pas consacrée à sa seule œuvre de cinéaste et réalisateur, on déambule de découverte en découverte.
Précoce, le gamin de Burbank, se sentant marginal (et marginalisé), n’en est pas moins extrêmement créatif et imaginatif: dessins, films (dont certains déjà en stop motion), story board, affiches publicitaires (certaines remportent des prix régionaux), Tim Burton se montre déjà prolifique. Il semble essayer de trouver un remède à l’ennui se réfugiant dans les films fantastiques et créant un monde imaginaire en profond décalage avec la banlieue bourgeoise aseptisée et puritaine, qui l’a vu grandir et dont il fait la satire dans Edward aux mains d’argent. On est saisi de cette boulimie de création qui subsiste encore aujourd’hui. Le dessin est pour cet éternel timide une façon de communiquer :
« Le dessin permet de communiquer, d’exprimer ses idées subconscientes, sans avoir à parler. »
Des serviettes de bar aux plannings de Disney en passant par ses devoirs d’écolier, il saisit sur le vif ses frustrations et angoisses et les vagabondages de son imagination.
… qui s’exprime sur tous supports
Cette appétence ne se contente donc pas de la simple réalisation comme seul moyen d’expression; les dessins griffonnés à l’emporter et les planches préparatoires de l’ancien animateur de chez Disney laissent parfois la place à la peinture (sur velour s’il vous plaît ou fluorescente), aux aquarelles et pastelles au milieu des sculptures ou de photographies.
En légende, on déchiffre un poème. Souvent drôles et sensibles, ceux-ci plantent une histoire. A cette occasion, lisez ou relisez The melancholy death of oyster boy, son recueil d’illustrations et de poésies.
… à l’univers si singulier
Obsessions burtoniennes
D'étranges monstres pour un livre à destination d'enfants
On est saisi de l’incroyable fixité des obsessions burtoniennes; celles-ci se révélent tant dans ses travaux d’illustrations que de réalisateur, de jeune homme ou de chouchou du cinéma à gros budget.
On comprend dès lors au travers de l’exposition en quoi cette vision si particulière du dessin, de la création et cet univers imaginatif si personnel ont pu entrer en profonde contradiction avec Disney. Disney qui a produit ses premiers courts métrages Vincent et Frankenweenie refuse de les distribuer.
"Concepteur de monstres" sur Taram et le chaudron magique
Dessinateur concepteur sur Taram et le chaudron magique, aucunes de ses idées ne sont sélectionnés…Dommage… L’esthétique burtonienne a considérablement renouvelée l’iconographie enfantine et Disney a loupé le coche.
» Je n’aime pas ce que notre monde fait des enfants. Il y a trop d’information, trop d’images, trop d’amour, trop de cadeaux, trop de bouffe, trop de performances, et nous ne savons plus les protéger. Au contraire nous les soumettons sans cesse à cette concurrence là… Et c’est à la fois une démission et du cynisme, une manière de les gâter et d’avoir la paix «
Cette période de l’enfance, Burton l’explore dans ses films, en faisant d’une certaine façon sa propre thérapie: adultes restés enfants en raison d’une enfance ratée, cruauté du monde des adultes, appréhension de la différence/normalité, imagination de l’enfance broyé par la normalisation
Déshabiller des yeux... littéralement
qu’impose la société… Le passage de l’enfance à l’âge adulte est ainsi un thème récurrent chez Burton. Ce difficile passage s’effectue par la confrontation aux peurs et angoisses enfantines ou encore au rejet de la société qui permet de s’affirmer. Iconoclaste, Tim Burton détourne les codes du conte, récit à la fonction hautement initiatique. Il empreinte également aux codes du film traditionnel Disney, en associant séquences chantées et animation.
Ces thèmes, ces obsessions, ont fait émerger une sensibilité nouvelle, chez les enfants comme chez les adultes. Il n’hésite pas à la teinter d’un humour qui lui est si particulier (noir forcément), glauque et absurde.
Une esthétique
Tim Burton crée très tôt un univers proche de nos cauchemars d’enfants, peuplé de monstres, de revenants… Pourtant celui-ci n’est pas effrayant : le morbide, le lugubre, le surnaturel, le gothique se mêle avec onirisme au fantastique, au merveilleux et au féérique, empruntant aux couleurs et fantasmes enfantins.
D'étranges perspectives
Le monde réel est ainsi souvent représenté comme étant cruel, terne et ennuyeux. Les noces funèbres, oppose au monde des vivants, fade et corrompu, à celui des morts qui est une société d’entraide, joyeuse et drôle, représentée avec des couleurs vives. Tim Burton ne filme pas le réel, il le réinvente ; le démiurge joue avec la lumière et l’ombre, les couleurs tantôt criardes, tantôt sombres, et les lignes de fuite et lees perspectives étranges. Il crée ainsi un reflet inversé de notre société normalisée. On peut trouver dommage qu l’exposition ne mette que très peu en évidence les inspirations de cette esthétique, comme le cinéma expressionniste allemand, les films fantastique de série B, la pop culture…
Le romantisme chez les monstres, Roméo et Juliette par Tim Burton
Critique social d’une société désenchantée, les héros qui composent sa joyeuse ménagerie sont des marginaux, exclus excentriques. Monstres innocents et attachants, robots humains, personnages difformes, revenants charmants, féroces timides, clowns maléfiques, Tim Burton joue de l’oxymore en insistant sur le dualisme de ses personnages, utilisant ces « anti héros » pour interroger notre société et notre système de valeurs.
Sans compromission
Quel que soit le genre de film, même ceux dont le scénario a été broyé par les mains expertes de la machine hollywoodienne, Tim Burton choisit de le passer au travers de son propre prisme déformant, en faisant un écho de sa personnalité et rencontrant néanmoins succès public comme critique. Dans cette industrie, il fait un cinéma de l’émotion.
Ce cinéma se révèle parfois artisanal. Stop motion, refus de l’image de synthèse, il se refuse à céder du terrain aux chantres du tout image de synthèse de l’heure du cinéma 3D préférant cette méthode d’animation manuelle. A l’origine les martiens de Mars Attacks devaient être en stop motion, mais la baisse du budget de la Warner n’a pas permis de mener à biais ce projet dont les rushs et tests sont visibles à la cinémathèque. Cette année encore, Frankenweenie, court métrage qui n’avait pas été distribué par Disney, sortira dans les salles en utilisant cette technique.
See you soon Mr Burton
Frankenweenie, Abraham: chasseur de vampires et Dark shadows sont aujourd’hui dans les starting blocks.
L’exposition, tout en attestant de l’incroyable permanence de l’esthétique poétique de Tim Burton, montre surtout tout le potentiel créatif du mystérieux cinéaste.
Combien, parmi tous les dessins exposés, de personnages encore inexploités, lovés dans un coin du cerveau (dérangé ?) de Tim Burton, attendant de prendre vie en étant mis à l’écran?