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Tyrannosaur

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Tyrannosaur

On n’imaginait pas Paddy Considine, acteur anglais peu connu du grand public mais reconnaissable dans bon nombre de productions, à la direction d’un long-métrage. Pourtant, Tyrannosaur est bien là, film très personnel puisqu’il en est le réalisateur et le scénariste et avec, cerise sur le gâteau, un acteur célèbre en la personne de Peter Mullan et une belle réputation acquise au gré des voyages dans les différents festivals.

Tout commence d’ailleurs de façon étonnante avec un montage parallèle entre une scène intimiste et une situation de société, une dilatation temporelle (un flash forward ?), un cadrage serré et une photographie floue qui rendent toutes deux grâce à un corps et un esprit meurtris. Le réalisateur plonge donc directement son spectateur dans le cœur d’un film qui va se concentrer sur l’humain. La suite du métrage va le confirmer. Ici, pas de grande tirade sociale à la Ken Loach (le maître de cette cinématographie) ou politique à la Shane Meadows (son This Is England reste l’une des dernières claques récentes à ce niveau). Pourtant, la géographie du film interpelle ces genres. Avec sa localisation précise, un quartier pauvre, et générale, Leeds qui est l’une des villes les plus sinistrées du Nord de l’Angleterre, Tyrannosaur aurait pu s’inscrire dans ces courants typiquement britanniques. L’une des bonnes surprises du film réside dans le fait que le cinéaste va prendre à contre-courant les attentes du spectateur quant au cinéma britannique en général. Comme un symbole, l’entité urbaine, généralement figure incontournable, n’est d’ailleurs pas filmée en tant que telle. Paddy Considine privilégie une réalisation basée sur un cadre strict et rapproché, un jeu sur le point de vue qui enferme littéralement le personnage et un enrobage musicale classique quand d’autres jouent la stricte nervosité de la mise en scène. Le résultat global est plutôt impressionnant et une forme de poésie vient alors contaminer un Tyrannosaur plus sensible que vindicatif. Certes, certains argueront le fait que ces partis pris de représentation apparaissent trop didactiques, que le cinéaste est un bon élève qui recrache bêtement ses cours ou qu’il filme parfois trop vers le « too much ». Néanmoins, cela ne serait pas faire honneur à la conscience cinématographique du réalisateur qui essaie de poser Tyrannosaur comme une œuvre pensée et respectueuse. La démarche mérite d’être saluée.

Cette mise en scène est surtout adéquate au parcours de Joseph, incarné par un Peter Mullan parfois aux limites du cabotinage mais dont le physique, la diction et le regard conviennent parfaitement à son personnage. Hanté par la mort de sa femme, perdu par la situation de son meilleur ami, le personnage principal est mort à l’intérieur et est enfermé dans sa condition. Pour s’en sortir, il va rencontrer une femme, blessée elle aussi, avec qu’il va tisser des relations de paumés. Dans leurs tourments, ils vont s’épauler. Mais là aussi, le défaut majeur du film refait surface. En effet, les personnages ont vécu des moments trop horribles, trop nombreux et tout cela trop en même temps pour que le spectateur puisse réellement être touché. Le cinéaste n’arrive, en fait, pas à s’arrêter dans un misérabilisme qui faut davantage savoir caresser que triturer pour véhiculer parfaitement les émotions souhaitées. Cette caractéristique est fréquente dans les premiers films. Il existe une espèce de manque de confiance dans la démarche et le cinéaste se croit obligé d’enfoncer le clou de peur de ne pas toucher le spectateur. Paddy Considine ne déroge pas à la règle mais on arrive à l’excuser sur l’autel de la bonne volonté pas assez maîtrisée. Surtout, c’est l’occasion pour le spectateur de rencontrer Olivia Colman qui défend Hannah, un personnage admirable de dignité et à qui elle donne une humanité bouleversante. Tyrannosaur tire ses plus grands moments d’émotion, ce qui a le mérite d’aérer le film.

Sans cela, le film, dans sa grande majorité, serait d’un pessimisme, ou d’une lourdeur c’est selon les points de vue, à se jeter par la fenêtre. Comme à son habitude, le réalisateur aurait pu éviter certaines lignes de dialogues et mettre en ellipse quelques plans pour éviter à son film d’être trop signifiant. Il n’en avait pas besoin tant le sujet même du métrage porte le poids du monde sur ses épaules. En effet, Paddy Considine n’hésite pas à plonger dans la violence inhérente à chacun de nous. Celle-ci est présente chez absolument tout le monde, qu’il soit socialement, professionnellement, idéologiquement, moralement respectable ou un laissé pour compte de la société. Comme pour enfoncer le clou et en partenariat avec le refus du genre, le discours est avant tout basé sur le caractère inné de cette logique. Finalement, dans un monde où les repères familiaux, amicaux, sociaux sont déliés à la base, l’Homme n’a peut-être plus beaucoup de choses à proposer de positives, sinon de se laisser aller. Et l’on se rend compte de l’importance des multiples entourages qui arrivent à canaliser les démons de l’humanité. Par cette démarche, le réalisateur a le mérite de ne mettre personne dans une situation de supériorité et de montrer que le monde est à mettre dans une logique égalitariste dans sa nature même. C’est sûr, le reflet n’est pas beau à voir mais du moins est-il peut-être clairvoyant. La rédemption va arriver, certes, mais le prix à payer sera terrible. Paddy Considine a une confiance et une foi dans la société toutes relatives car il nous rappelle que des éclaircies sont possibles, pourvu que quelqu’un se sacrifie, ultime variation sur la noirceur du monde.

Tyrannosaur n’est pas un film qui respire la joie et on sent que le cinéaste en a gros sur le coeur. Cependant malgré ses menus défauts qu’il faut mettre sur le compte du statut de premier métrage, celui-ci reste quand même suffisamment impressionnant pour emporter une adhésion, à condition que le spectateur ose regarder son double « maléfique ».


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