Sorti fin janvier, « Noir Désir », le troisième album de Youssoupha, caracole en tête des ventes de disques en France. Natif de Kinshasa, Français d'adoption, Congolais d'origine et Sénégalais de culture, Youssoupha clame sa culture héritée de sa grand-mère. Une Saint-louisienne qui l'a éduqué et dont il a gardé une phrase comme maxime : « Il faut faire pleurer ton fils avant qu'il ne te fasse pleurer ».
La dégaine nonchalante, d'énormes lunettes de marque barrent son visage où apparaîet un sourire d'un blanc immaculé. La casquette est bien vissée sur la tête pour tenir en respect des « dread-locks » épars.
L'homme est beaucoup plus profond et complexe que ce tableau. Né à Kinshasa à l'époque où ce pays d'Afrique centrale s'appelait encore le Zaïre et était considéré comme « un scandale géologique », pour ses immenses richesses minières, rien de cela ne paraîet dans l'apparence, encore moins dans la mine joviale de Youssoupha.
Mabiki est son patronyme. Jeune, à 32 ans, il se définit à la fois comme Français d'adoption, Congolais de naissance et Sénégalais de culture, grâce à sa maman, mais surtout à sa grand-mère. Tout cela à la fois sans pour autant qu'il y ait la prééminence d'une culture sur l'autre. « Enfin, ça dépend des jours ! » précise-t-il malicieusement.
«ma grand mère siby ndiaye
De son enfance, il garde des souvenirs impérissables qui se résument à un nom, Siby Ndiaye. « Ma grand-mère, la matriarche est une Sénégalaise qui venait de la ville de Saint-Louis. En se mariant, elle est venue vivre à Kinshasa ».
La grand-mère était très attachée à ses racines et à sa culture sénégalaise. « Elle nous a élevés, autant ma maman que moi, avec les références de cette culture, à tel point qu'on nous appelait les Ndingari (ndlr, c'est le nom qui est donné aux populations ouest-africaines dans l'ex-Zaire).
Arrivée au rap sur un quiproquo
Cette éducation l'a marqué et lui a fait percevoir le Sénégal à travers le prisme idéaliste des origines de la grand-mère Siby Ndiaye. Comme dans tout fantasme, la réalité est parfois différente. « Quand je suis allé au Sénégal pour y tourner le clip « Ma destinée », qui est dans le deuxième album, j'y ai retrouvé une partie des références de ma grand-mère. C'est peut-être parce que j'étais à Dakar, mais la tradition, le respect et la pudeur érigés en valeurs cardinales étaient un fantasme dans l'esprit de ma grand-mère. J'ai découvert Dakar très extravertie, très exagérée. En gros, tout ce que ma grand-mère n'aimait pas chez les Congolais, le côté m'as-tu vu, le « bling-bling » et autres, je l'ai retrouvé à Dakar ».
Pour les besoins du tournage d'un documentaire, il a fait le voyage Paris-Dakar en voiture. « Ce fut l'occasion de découvrir Saint-Louis. J'étais marqué par l'architecture de la ville, les souvenirs de l'époque coloniale ; ce qui n'enlève pas une identité purement africaine à la ville ». A 13 ans, il quitte Kinshasa et le cocon familial pour rejoindre une tante en France, afin d'avoir une meilleure scolarité.
Après de brillantes études scolaires couronnées par la « meilleure note à l'oral de français de l'académie de Versailles. C'était plus qu'une fierté, parce que certains de mes profs pensaient que je n'étais pas fait pour les études littéraires. Ils me dirigeaient plutôt vers des voies de garage. Je suis passionné d'écritures et de lettres depuis que je suis tout petit ».
Alors qu'il était en train de terminer son cursus universitaire avec un diplôme en Communication, il s'est lancé comme un défi de laisser une trace en sortant quelques chansons de rap. « Contre toute attente, ce projet a très bien marché, alors que ma recherche de travail allait très mal ».
Aujourd'hui, Youssoupha est une valeur sûre du rap français. De sa formation en Littérature et en Communication, il tire un plus pour son art, c'est le cas avec l'utilisation reconnue des « punchlines » (les lignes percutantes, ndlr). Une phrase choc composée de rimes et qui a pour but, une fois entendue, de rester dans la tête.
C'est également le cas lors d'une plainte du journaliste et polémiste français Eric Zemmour pour « menace de mort » qui lui donne l'occasion de se poser en défenseur contemporain de la négritude. « Homme noir lève-toi, regarde autour de toi et pense à prendre ta place dans ton cadre, ton univers ». Il reprend ce refrain en langue Bantu de Staff Benda Bilili, dans le morceau éponyme « Noir D ».
« On m'a stigmatisé et distingué à cause de ma couleur de peau, constate Youssoupha. Pour me réhabiliter, je fais la démarche inverse. C'est ce que je veux montrer avec cet enfant noir qui porte des ailes noires », un côté angélique pour la photo de la pochette de son album.
Celui-ci n'a pas besoin d'ailes pour s'envoler en tête des charters français. Youssoupha sera à l'Olympia le 7 mai prochain. Clin d'oeil au destin : son père, Tabou Ley Rochereau, le pape de la rumba congolaise des années 80-90, est le premier artiste africain à avoir fait la mythique salle française de l'Olympia.