Par Eva Gaga
Cloud building
« La Corée du Sud ? C’est où ? A côté du Vietnam, non ? » m’a-t-on dit quand j’ai dit que je partais à Séoul. Mes oreilles ont encore mal. Peut-être est-ce dû au fait que ce pays a connu une croissance trop rapide pour que reste du monde le voit enfin comme un pays développé, ou peut-être parce qu’il est coincé entre les deux géants que sont le Japon et la Chine et qu’il passe encore inaperçu.
Pourtant, Séoul est en train de devenir l’un des centres numériques les plus importants d’Asie. Séoul, dit-on, c’est le prochain Tokyo. C’est une ville en changements constants, un peu « bancale », pleine de contrastes : on peut voir un immense building tout de verre revêtu, et à ses pieds, des marchés « sauvages » qui vendent des vers à soie cuits.La ville « moderne » s’est construite en plusieurs étapes : la période coloniale japonaise, la reconstruction d’après-guerre, puis s’est ouverte, internationalisée et maintenant tente de se vendre via des projets architecturaux un peu fous. Les Coréens ont dans l’idée qu’il faut oublier le passé (c’est vrai que leur histoire n’est pas des plus joyeuse), et qu’il faut construire l’avenir. Il faut être plus rapide que les autres, être dans la compétition constante. D’où le développement accéléré de la technologie de pointe, du numérique. Samsung fait beaucoup parler de ses trouvailles technologiques…
A Seoul, il n’y a pas un centre. Il y a des centres, chacun ayant son identité.Séoul se cherche.Seoul a d’abord été conçue pour 100 000 habitants, et selon les principes géomantiques : pour « faire circuler l’énergie » la ville a été construite autour de la rivière Han qui coule d’est en ouest, et au milieu de plusieurs montagnes, dans une cuvette. Puis, sous la période coloniale, les japonais ont tout fait pour détruire ces principes en faisant construire des bâtiments en dehors des portes, en « bloquant » les flux d’énergie. En apportant le train, notamment, ils ont contribué à agrandir la ville. C’est après la libération que ça se complique. Maintenant, 3 cadastres (document qui recense les propriétés foncières) se chevauchent : celui de la période coloniale, celui du temps où la Corée était sous la protection de l’ONU, puis celui des Coréens eux-mêmes. Par conséquent, construire est un casse-tête. Par exemple, l’architecte David-Pierre Jalicon, en Corée depuis quinze ans, affirme qu’il faut éviter de construire en mitoyen, car il faut prendre en compte la marge d’erreur causée par le chevauchement des cadastres. Un casse-tête, vous dis-je.Cet exemple un peu technique montre bien que Séoul a grandi trop vite, et que certaines choses n’ont pas pu suivre ce rythme galopant… A Gangnam, au sud de la rivière Han, les rues sont construites en quadrillage américain ultra régulier, tandis qu’à Gangbuk, au nord de Séoul, le plan est quasi inexistant, les bâtiments s’étant construits au fil du temps, sans règle particulière (un peu comme à Paris, d’ailleurs).Un des centres majeurs de Séoul, et sûrement le plus ancien, est l’axe qui va de la gare de Séoul, au sud à côté du mont Namsan, jusqu’au palace Gyeonbok au nord en passant par Insadong. Kézako ? En gros, un axe du sud au nord, qui regroupe les rues les plus « traditionnelles » et touristiques.L’ancien maire de la ville, Lee Myung-bak (maintenant Président de la Corée), a contribué à fortement modifier la ville en voulant faire table rase. Son projet « New town » était ambitieux : créer des logements collectifs, revitaliser les quartiers autour de la rivière Cheonggyecheon jusqu’au mont Namsan, faire du fleuve Han un centre principal de Séoul (y’a encore du travail…). Avant, à Séoul, on démolissait tout pour reconstruire. Les bâtiments de la période coloniale ont presque tous disparu, dans un effort pour oublier ce passage de l’histoire de la Corée. Aujourd’hui, on tente de les protéger.A côté de ce début de cet effort de mémoire, Séoul cherche à impressionner par des projets architecturaux de grande envergure. Lee Myung Bak voyait Séoul dotée d’un très haute tour extravagante, pour faire parler de la ville…bref, sans réelle vision, il y a eu des projets plus fous les uns que les autres, comme le « Cloud » building, imaginé par un cabinet d’architectes néerlandais, et qui reproduit les Twin Towers de New York, mais avec le nuage causé par le crash des avions au milieu des tours. Il fallait oser. Aucun projet pour l’instant n’est validé (avec 12 000 logements invendus et une bulle immobilière, les investisseurs sont frileux).Séoul se cherche. Plus qu’une mégapole, elle voudrait être une « métapole », alors qu’elle est déjà la quatrième ville la plus peuplée au monde : avoir 30 000 d’habitants, requalifier les quartiers, se développer autrement, en se donnant une identité . Séoul, c’est LA ville en Corée et bientôt peut-être LA ville en Asie.Mais en attendant, Séoul se cherche.Les bâtiments historiques sont parfois cachés par des maisons. Il m’est arrivée plusieurs fois en me baladant dans un quartier quelconque, de tomber sur un temple très joli, mais entouré de câbles électriques, de maisons, de magasins…La mise en valeur du patrimoine historique n’est pas encore achevée. Pas comme à Paris, où le parvis de Notre Dame est presque aussi grand qu’un terrain de baseball. Dans les années 90, il fallait monter dans un bâtiment pour pouvoir admirer un autre, car des rues n’étaient pas dégagées. Il fallait marcher sous terre pour traverser Séoul, le piéton étant presque un parasite.Mais Séoul change. Et vite. Maintenant, on peut marcher sur les rives du fleuve Han dans le quartier de Yeouido (mais la promenade se transforme en route au bout d’un moment), on sait qu’on entre dans le marché de Dongdaemun grâce à une porte…Séoul, c’est la ville des contrastes, des petites rues au bout desquelles nous attendent une surprise. Plus qu’ailleurs, il faut se perdre dans Séoul pour voir à quoi elle ressemble (et parfois même pour trouver les bâtiments les plus touristiques qui soient).Alors…Séoul, prochaine ville incontournable d’Asie ?
Article inspiré de la conférence intitulée « Ville réelle, ville rêvée » donnée à l’Institut Français de Séoul le 23 avril 2012 à l’occasion de la sortie du 2ème numéro de la revue Croisements.Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur Facebook