L’Instant d’Or par Patrick Faus
: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
Frédéric Duca est enfin sorti de l’ombre. Celle d’Hélène Darroze dont il a été le chef à Paris depuis 2008, même si c’est à cette époque que la deuxième étoile a disparu. Peu importe. L’aventure d’une carrière continue et le challenge de la responsabilité d’un nouveau restaurant dans le fameux « Triangle d’or » – nom ridicule d’ailleurs qui ressemble à un quartier chinois dans les bas-fonds de Shanghai en 1930 – commence. Car autour, c’est surtout le « triangle » de la concurrence : Eric Briffard en face au George V, le Fouquet’s Barrière et sa nouvelle étoile à cent mètres, enfin Frédéric Vardon au 39V (nouvelle étoile aussi) juste la rue en face. Du lourd, du sérieux, et de la qualité. Heureusement, trois qualités que possède apparemment Frédéric Duca. Il en aura besoin pour hisser le lieu vers la reconnaissance d’une belle table gastronomique. La barre est placée haute par les propriétaires. Emplacement de rêve (l’ancien restaurant de Flora Mikula), décor designé au cordeau par le studio Marc Hertrich & Nicolas Adnet (déjà responsable du Bar Link, de Thai, de La Gare, etc.), appel à des artisans, à des métiers d’art, à des brodeurs, et sur les tables Christofle, Baccarat et Bernardaud. Le décor est à la hauteur des ambitions, nouveau, original, surprenant ma non troppo, couleurs vives (noir, rouge, blanc), fauteuils confortables, deux salles séparées, espaces ouverts, aérés et aériens avec peut-être ce manque de chaleur qui reste la marque des décors d’aujourd’hui. Mais la cuisine du chef est là et bien là pour rattraper cette légère rigidité et l’on peut faire confiance à cet enfant de Marseille, élève de Gérald Passédat sur le Vieux-Port. Du coup, il lui reste un léger accent dans la parole et dans sa cuisine. Léger, pas plus, car il ne souhaite pas forcer sur ses racines mais juste colorer ses plats de touches du sud, du soleil, et de la mer. En tout cas, il a trouvé l’équilibre presque parfait entre sa technique, ses connaissances du métier, son talent et ses envies. Une assiette parfaite ? Pas loin comme nous l’ont prouvé deux visites ces dernières semaines, l’une sur la carte d’hiver finissant, l’autre sur la toute nouvelle carte de printemps.
Bonne augure : totalement démentiel Velouté de crustacés en amuse-bouche, quoiqu’à ce niveau ça n’amuse plus la bouche ça l’enchante ! Homard, bouillon épicé, spaghettis : improbable mais probant. Langoustines cuites à la nacre, royale de potimarron, chanterelles et châtaignes, cappuccino de Parmesan : du monde dans l’assiette mais tout le monde s’entend bien. Agneau fermier, canon rôti, côte grillée, épaule confite, artichaut épineux au vert : finalement, l’hiver a du bon ! Nouveau style, nouvelle inspiration et nouvelle carte pour le printemps. Autre temps, autres saveurs. Asperges (incontournables de nos jours), elles sont vertes, en velouté et rôties, panacotta de parmesan, cuisses de grenouilles et jus de bœuf aux olives Taggiasches. Ça marche : cuisson au cordeau, et accord parfait où tous les produits s’enchaînent et se déchaînent. Belle entrée pour le moins. On a déjà dit notre furieux enthousiasme pour la Sole tartinée au limequat confit, fenouil, condiments méditerranéens et câpres (voir article « plat de la semaine »). Il y a de la poularde jaune aux épices tandoori et légumes de printemps, mais surtout les délicats desserts de la chef pâtissière japonaise Kiliko Nakamura qui était avec le chef chez Darroze. Pomme, millefeuille à la farine de sarrasin, crème légère au jasmin et surtout une magnifique déclinaison sur le citron (crème prise et crème au citron, cake au citron) tout en fraîcheur et en harmonie de goût, subtilement rehaussé par un sorbet céleri. Magnifique.
Carte des vins en construction mais déjà un bon choix de vins au verre, surtout en blancs. Accueil d’un professionnalisme tranquille, musique un peu forte (surtout le soir), l’ensemble roule déjà très bien et pour aller loin. On les suit…
Questions à Frédéric Duca
Quel a été le déclic cuisine pour vous et à quel moment ?
De bons plats marseillais faits par ma mère et ma grand-mère et j’aimais ce culte de la table. Un petit coup de main de temps en temps et plus tard un ami s’est lancé dans la cuisine et j’ai fait pareil. Au bout de quelques semaines, j’ai adoré l’ambiance et le travail. C’était au Sofitel Marseille.
Trois noms, trois personnages qui vous ont marqué ?
Gérald Passédat (*** Michelin à Marseille). Jean-Yves Leurranguer (chef du Fouquet’s Barrière, récemment étoilé), un peu mon père spirituel avec un feeling fort entre nous deux. On a une forte complicité, il est adorable et je l’admire beaucoup. Il y en a tellement d’autres que c’est difficile d’en citer juste un de plus…
Qu’avez-vous encore de Marseille dans votre cuisine ?
J’aime mes racines, mais je ne veux pas tomber dans un cliché. J’aime aussi Paris, plus que Marseille d’ailleurs. Dans ma cuisine, j’ai envie de mettre en avant l’authenticité, le terroir parisien et d’Île-de-France, qui n’est pas l’exclusivité de Yannick Alléno, avec des petites notes épicées du sud.
Quelles sont vos ambitions au milieu de la concurrence qui vous entoure ?
Je joue une carte gastronomique voulue par les propriétaires et je fais ma cuisine sans trop m’occuper des autres. Je viens de restaurants étoilés et je ne cache pas que je vise une étoile assez vite. Si je l’obtenais, je serais le plus heureux des hommes.
L’Instant d’Or
36, avenue George V
75008 Paris
Tél : 01 47 23 46 78
M° / George V
Voiturier
Fermé Dimanche et lundi
Menus déjeuner : 36 € (deux plats) – 42 € (3 plats)
Menu dégustation : 68 € (4 plats) – 98 € (6 plats)
Carte : 80 € environ