Quand je suis sorti de l’institut pour personnes handicapées (Alexandre Jollien souffre d’athétose, et a vécu dans un établissement spécialisé, ndlr), je croyais que j’étais le seul à ressentir de l’émoi devant une belle fille, ce qui me plongeait dans une culpabilité sans nom. Aujourd’hui, je découvre que la chose n’est pas si grave, et que les neuf plaisirs du corps ne sont pas forcément un péché. Et le merveilleux dans tout ça, c’est que c’est précisément un mystique qui me ramène à faire l’éloge du corps, celui que je suis loin d’habiter. Un corps de chair et d’os, non pas un corps idéalisé, parfait, inhumain…
Nous n’avons pas de toute-puissance sur nous-mêmes, nous ne sommes pas toujours les maîtres à bord. J’aspire à la paix intérieure, et un panneau publicitaire montrant une jeune femme dénudée arrache littéralement mon esprit et, d’emblée, je me reproche cette minuscule incartade. Pourquoi ne pas rire de ces petits mouvements de la vie ? Pourquoi ne pas s’amuser de ces rappels qui démontrent que ma volonté n’est pas totalement souveraine. Il n’y a, assurément, pas mort d’homme, bien au contraire. Et me voilà convié à mieux habiter ce corps devant lequel je suis si ingrat. Pour m’y aider, rien de tel que des amis dans le bien. Non des contempteurs du corps pudibonds qui dépisteraient partout le scandale et, loin de m’apaiser, me jetteraient encore plus dans l’agitation. Non des hédonistes radicaux qui ne voient qu’à court terme et négligent le caractère sacré d’une relation intime, mais juste des amis en chair et en os pour me regarder droit dans les yeux quand je me trouble, pour me soutenir au besoin, pour être là.
Mais je devine aussi qu’il me faut varier les plaisirs car, ce n’est pas la frustration qui mène à la liberté mais la joie qui conduit au détachement. Et je reviens à mon Silesius, plein de reconnaissance. Le corps m’enlève cette volonté de toute-puissance, il me donne aussi 1 000 plaisirs simples que je ne sais pas goûter à fond.
Source : La Vie