“Ma cabane au Canadaaaa est blottie au fond des boiiiis,
On y voit des écureuils sur le seuil…”
Ah ben non, tiens, ce ne sont pas des écureuils, mais euh… des mains coupés, des tripes, des bouts de cervelle. Beurk…
En même temps, c’était un peu prévisible… Non mais quelle idée que de partir en weekend dans une cabane perdue en pleine montagne, dans un coin lui-même complètement paumé! On comprend que les cinq étudiants américains, héros malheureux du film de Drew Goddard, aient eu envie de faire un break entre deux examens, comme tous les jeunes de leur âge. Il faut bien savoir décompresser de temps à autres. Mais généralement, les jeunes choisissent des destinations sympathiques telles que Cancun, Miami ou Lake Victoria (pour y pêcher le piranha), pas une bicoque perdue en pleine forêt, à plus de cent bornes de toute civilisation.
D’accord, les férus d’histoire pourraient être sensibles à l’aspect historique “vintage” de la cabane, datant de la Guerre de Sécession, et les aventuriers en herbe pourraient aimer ce petit côté vie de trappeur à la dure. Mais apparemment, ce n’est pas franchement ce que recherchent les garçons qui ont organisé ce séjour… Une cabane humide pleine de toiles d’araignées et d’objets bizarres, il y a plus glamour pour séduire les filles…
Et puis, ces jeunes écervelés n’ont pas dû voir beaucoup de films d’horreur, contrairement aux auteurs de cette Cabane dans les bois, sinon ils sauraient qu’il n’est pas franchement recommandé de partir en vadrouille dans des coins aussi paumés, traditionnellement peuplés de bouseux dégénérés, de mutants sanguinaires, de bêtes féroces ou de créatures démoniaques… Et même sans cette connaissance cinéphilique, ils auraient dû se douter de quelque chose et faire illico demi-tour après leur arrêt à la dernière station-service du parcours, un vestige d’un autre âge semblant n’avoir pas servi depuis des siècles et abritant un capharnaüm assez sordide. Surtout après que le proprio, un redneck à la trogne de psychopathe, se soit montré franchement hostile et et inquiétant…
Mais non, le petit groupe a quand même poursuivi son chemin jusqu’à la fameuse cabane, comme prévue bien isolée, bien sordide et contenant des objets inquiétants, à commencer par une toile assez hideuse représentant une scène de chasse sanglante… Un détail, mais annonciateur des réjouissances. La question n’est plus de savoir si le bain de sang va avoir lieu, elle est de savoir dans quel ordre vont trépasser les jeunes imprudents et surtout, par quel moyen… A ce moment du film, le spectateur rompu à ce genre de film d’horreur est capable d’imaginer plusieurs variantes possibles : les étudiants peuvent être pris en chasse par le psychopathe de la station-service, ou par l’un d’entre eux agissant par vengeance, ou bien être au menu d’une famille de cannibales locaux… Ils peuvent aussi réveiller des forces occultes, démons en pleine salsa ou sorcières furibardes, ou se faire botter l’occulte, justement, par des loups garous ou des ectoplasmes… Tout est possible…
Sauf que les auteurs du scénario, Drew Goddard et Joss Whedon, connaissent aussi par coeur toutes ces possibilités et ont justement envie de proposer autre chose au public, tout en respectant scrupuleusement les conventions du genre. Ne comptez pas sur nous pour dévoiler le virage narratif opéré à mi-parcours, qui est l’un des principaux atouts du film. Non, même sous la torture, on ne vous dira rien. Ou alors, juste un élément qui est donné dès les premières séquences : les jeunes protagonistes semblent être manipulés par un groupe d’individus qui les observe depuis un mystérieux centre de contrôle…
Qui sont-ils? Que cherchent-ils à faire? La réponse sera donnée au terme d’un final assez étourdissant – et pour le coup, surprenant - qui bascule dans le délire gore et débouche sur un autre niveau de lecture possible.
La Cabane dans les bois joue en effet des codes du film d’horreur pour induire une réflexion sur le genre en lui-même. Pourquoi produit-on ce type de spectacle effrayant? Et pour qui? Pourquoi des gens “normaux” – comprenez : qui ne sont pas des psychopathes meurtriers – apprécient-ils des histoires où des jeunes gens se font trucider de façon perverse? Pourquoi certains spectateurs sont-ils friands de bains de sang ou de crimes sadiques?
On sait que les films d’horreur peuvent avoir une fonction de “défouloir”, alors peut-être y a-t-il au fond de chacun de nous une part monstrueuse, primitive, qui réclame sa dose de violence et de sang? Et les metteurs en scène chercheraient alors à satisfaire à cette demande, à flatter ces bas instincts avec des recettes obéissant à une certaine logique… La mise en abîme est assez surprenante pour une oeuvre qui, de prime abord, avait tout du petit film d’horreur conventionnel.
Le long-métrage de Drew Goddard et Joss Whedon s’élève sans peine au-dessus de la moyenne des productions horrifiques américaines, grâce à son scénario malin et son approche quasi philosophique du genre. On trouvera juste dommage que les auteurs, qui ont clairement annoncé leur volonté de briser les stéréotypes pour pouvoir révolutionner le genre, choisissent de basculer dans la surenchère gore – certes assez réjouissante, car complètement folle – plutôt que de chercher à faire réellement peur en jouant sur la suggestion et en faisant appel, justement, à des peurs primales dignes des références littéraires qui ont aidé à l’élaboration du scénario.
Cette réserve mise à part, La Cabane au fond des bois est plutôt une bonne surprise pour un genre que l’on disait moribond et qui n’a plus si souvent les honneurs d’une exploitation en salles, en France du moins. Alors si vous faites partie de ceux qui ont besoin de leur “dose” d’horreurs sur grand écran et qui considèrent que les forêts ne sont pas faites uniquement pour les balades en famille ou la cueillette des champignons, allez donc faire un tour du côté de ladite cabane. Vous devriez y trouver votre bonheur…
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The Cabin in the woods
Réalisateur : Drew Goddard
Avec : Kristen Connolly, Chris Hemsworth, Anna Hutchinson, Richard Jenkins, Bradley Whitford, Fran Kranz
Origine : Etats-Unis
Genre : film d’horreur intelligent
Durée : 1h35
Date de sortie France : 02/05/2012
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : –
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