On lui met sous le nez une photo de Monier, qu'il reconnaît de mauvaise grâce, puis celle de Bonnot, qu'il dit ne pas connaître. A tout hasard, Jouin décide de perquisitionner la maison et s'engage sur l'escalier menant au 1er étage, avec le brigadier Colmar, puis Gauzy et le brigadier Robert qui le surveille et ferme la marche. A l'étage, Jouin et Colmar traversent une première pièce vide et débouchent sur deux chambres en enfilade. Il fait très sombre car les volets sont fermés. Le temps de laisser ses yeux s'habituer à l'obscurité, Jouin distingue dans la dernière pièce une forme humaine tapie dans l'ombre. Il pousse un cri : «Mais c'est Bonnot !».
Les deux policiers -non armés, Jouin a juste sa canne- sautent sur Bonnot. S'ensuit une furieuse mêlée dans l'encoignure de la porte. Mais au moment où ils vont avoir le dessus, Bonnot réussi à sortir son Browning de sa poche et tire quatre fois. La première balle rate sa cible, deux autres balles explosent la tête du malheureux Jouin. Colmar est grièvement blessé par la dernière. Le brigadier Robert qui surgit dans la pièce récupère Colmar chancelant, qui s'effondre dans ses bras en criant «Ça y est, mon pauvre Robert, je suis foutu. J'en ai pris plein la caisse !». Apercevant Jouin et Bonnot inertes par terre, Robert les croit tous les deux morts. Il redescend son collègue pour qu'on lui prodigue des soins urgents. Mais quand il remonte dans la chambre où s'est joué le drame, il n'en croit pas ses yeux : Bonnot a disparu !
Soit il faisait le mort, soit il était juste groggy après la bagarre. Toujours est-il que Bonnot, bien que blessé au bras par un de ses propres tirs, s'est finalement relevé sans bruit. Il a bondi sur le palier vers un appartement voisin. Là, il voit une femme qui a ouvert sa porte en entendant les détonations. Il l'a obligé à lui laisser le passage, sous la menace de son arme. Puis il est passé par la fenêtre ouverte, s'est accroché aux persiennes pour sauter sur le toit d'une cabane. Il a ensuite suivi la crête d'un mur, puis s'est laissé glisser sur le sentier des Bossettes où il a disparu vers les “fortifs” de Paris.
Dehors, la foule se déchaîne et des justiciers d'occasion tabassent Gauzy qui vient d'être rattrapé par les policiers après avoir tenté de s'enfuir, avec d'autant plus de courage qu'il est menotté et qu'ils sont à 500 contre un. Dans la chambre au 1er, Bertillon arrive avec ses équipes et n'a plus qu'à faire ses habituels relevés et des photos du cadavre de Jouin. Le brigadier Colmar, lui, va s'en sortir.
Quant aux policiers, menés désormais par Guichard, le supérieur de Jouin décédé, ils recueillent des renseignements d'indicateurs qui les mènent vers Choisy-le-Roi. Le dimanche 28 avril, à 7 heures du matin, un premier détachement de policiers se présente devant le garage Fromentin, 8 rue Jules Vallès. L'information est bonne : ils aperçoivent Bonnot en train de préparer une moto. Bonnot les repère lui aussi et monte se barricader à l'étage. Les policiers battent prudemment en retraite. Le bâtiment est facile à cerner : il est isolé au milieu des champs en cours de lotissement possédés par Eugène Fromentin, un milliardaire professant des idées anarchistes.
A 8 heures, Guichard arrive avec les premiers renforts. On entoure le garage et le chef de la Sûreté se présente à la porte. Cette fois, il est armé et ceint de son écharpe tricolore. Il tombe sur le locataire des lieux, Jean Dubois, qui sort un browning. Plus rapide que lui, Guichard fait feu et le tue. Les policiers, qui se méfient avec raison de Bonnot, font à nouveau retraite, mais Bonnot leur tire dessus depuis l'étage où il s'est réfugié. Il blesse deux agents. On téléphone alors au préfet Lépine, qui envoie de nouveaux renforts. Dantesque et grotesque à la fois, le siège de Choisy va pouvoir commencer. Il va durer quatre heures.
Autour du bâtiment, une foule immense -des milliers de personnes- commence à s'assembler. Certains jouent à la petite guerre, cachés derrière les arbres ou les fossés, fusil de chasse en main, bravoure affectée et bêtise en bandoulière. D'autres se massent contre le cordon des gardes et s'invectivent entre eux pour prendre ou conserver les meilleures places. Colette, accourue en hâte de Paris, se fait insulter car son chapeau trop large masque la vue des derniers rangs. Pendant qu'on prépare l'assaut final, à l'intérieur du bâtiement, Bonnot se désintéresse totalement de la situation et commence à rédiger son testament.
(A suivre)
(1) Actuellement 63 avenue Maurice Thorez
Illustrations : Le Petit Journal, Wikipedia, TdE
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[Episode 4] : attaque de la Société Générale de Chantilly et premières arrestations
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