Le printemps des poètes: quelques poèmes à l'honneur...

Par Sylvie
Un poète à l'honneur : Philippe Longchamp

On dit souvent que la poésie contemporaine est hermétique, élitiste, froide...Philippe Longchamp est tout le contraire...Sa poésie est humaine, elle brosse le portrait de personnes souvent marginales avec beaucoup de tact et d'art...
Philippe Longchamp est aussi un voyageur des petits chemins capable de transformer la ville de La Roche-Sur-Yon en "Ville du jardin des latitude".
Enchanteur du quotidien, Philippe Longchamp écrit des petits carnets de voyage impressionnistes qui décèlent l'insolite ou un moment éphémère, une personne ou un lieu caché..
Je vous livre quelques poèmes de celui que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans la Médiathèque où je travaille...
Des pas de crabe sur du jaune, Cheyne Editeur


"Elle est du temps des cerceaux en bois, des
crécelles et des poupées à tête de porcelaine
peinte, elle n'oublie jamais ça. Non plus
qu'elle s'est comme chacun abondamment
trompée, ramassée toute seule avec les
genoux couronnés et des meurtrissures à
l'intérieur de la tête.C'est que depuis aussi
longtemps qu'elle se souvienne, c'est à dire
huit ou neuf décennies, elle a toujours
voulu bouger, toujours cherché à voir
par-dessus les épaules, ou les palissades,
toujours écouté ce qui faisait mourir ou rire
ou jouir ou courir ou pleurer les quidams.
Et ainsi, maintenant, elle sait assez bien
entendre quand on lui parle. Dans le
temps, bien sûr, elle a froncé les sourcils.
Maintenant, plus jamais. Si quelqu'un lui
crache, si quelqu'un lui crie, si quelqu'un
lui pleure, elle peut entendre, elle sent
comme ça descend dans sa gorge, comme
c'est autre chose qu'un discours qui lui
est fait, que c'est une détresse jetée là qui
ferait bouchon en un rien de temps si elle
n'était pas si ouverte, ses portes du dedans
ouvertes.
Elle sait combien on peut se mentir puis
déchirer ou se déchirer quand on s'enferme
dans des mots trops bleus chaque fois qu'on
est au contact sur les parvis des églises,
les marchés couverts en fin de journée,
les salles d'attente des hôpitaux ou les
réfectoires des hospices. Et ainsi, main-
tenant, si on lui parle, elle sait à peu près
comment s'ouvrir pour laisser entrer les
mots, châtaignes pas toujours dégagées de
leur bogue.
Ce qu'elle aime, ensuite, c'est aller s'asseoir
à la hauteur des écluses, voir comment les
péniches chaque fois sombrent au-dessous
du double quai dans le bruit du bouillon-
nement, puis les vantaux d'aval s'écartent et
on voit glisser dans le silence ces dizaines
de tonnes comme feuille morte sur l'eau
redevenue immobile"