C'est dimanche, c'est Bukowski.

Par Pagman

... Le vendredi soir, j'étais censé passer à une émission connue et diffusée dans tout le pays, un débat littéraire d'une heure et demie. J'ai réclamé deux bouteilles d'un bon vin blanc que je pourrais boire à l'antenne. Il y avait entre cinquante et soixante millions de Français qui regardaient cette émission.

J'ai commencé à picoler en fin d'après-midi. Et tout à coup, Rodin, Linda Lee et moi on s'est retrouvés à passer un contrôle de sécurité. On m'a demandé de m'asseoir en face du maquilleur. Après m'avoir fardé de plusieurs poudres, vites aspirées par la peau grasse et grêlée de ma tronche, il a soupiré et m'a congédié d'un geste de la main. On était ensuite assis en groupe à attendre le début de l'émission. J'ai débouché une bouteille et j'ai bu un coup. Pas mauvais. Il y avait trois ou quatre écrivains, l'animateur et aussi le psy qui avait administré des électrochocs à Artaud. L'animateur était censé être connu dans tout le pays mais il ne m'impressionnait pas des masses. Je me suis installé à côté de lui, il tapait du pied.

Qu'est-ce qui ne va pas ? je lui ai demandé. T'as le trac ? Allez, bois un petit coup... ça te fera du bien au gésier... Avec dédain, il m'a fait signe de la boucler.

Puis on a été à l'antenne. J'avais une oreillette dans laquelle on me traduisait le français en anglais, et mes interventions seraient traduites. J'étais l'invité d'honneur, alors l'animateur a commencé par moi. La première chose que j'ai dite, c'est :

- Je connais un tas d'auteurs américains qui aimeraient participer à cette émission. pour moi, ça ne veut pas dire grand-chose...

Après quoi, l'animateur s'est empressé de passer à un autre écrivain, un gaucho à l'ancienne qui s'était fait trahir à maintes reprises sans pour autant perdre la foi. Je n'étais pas engagé politiquement mais j'ai dit à ce bon gars qu'il avait une bonne tête. Il parlait sans relâche. Ils sont toujours comme ça.

Une femme a pris la parole. J'avais déjà pas mal éclusé et je ne comprenais pas trop ce qu'elle écrivait, mais je crois que c'était un truc sur les animaux, qu'elle écrivait des histoires d'animaux. Je lui ai dit que si elle relevait un peu plus sa jupe pour me montrer ses jambes, je saurais peut-être si elle était ou non un bon écrivain. Elle ne l'a pas fait. Le psy qui avait administré les éléectrochocs à Artaud n'arrêtait pas de me scruter. Quelqu'un d'autre s'est mis à parler. Un écrivain français à la moustache en guidon de moto. Il ne disait rien, pourtant il n'arrêtait pas de causer. La lumière des spots devenait de plus en plus vive, d'un jaune visqueux, je commençais à avoir chaud. Là-dessus, je me retrouve dans les rues de Paris, il y a des vrombissements saisissants et incessants et de la lumière partout. Il y a dix mille motards dans les rues. Je leur dis que je veux voir des filles danser le french cancan, mais on me fait miroiter du rab de vin pour me ramener à l'hôtel.

"Shakespeare n'a jamais fait ça" par Charles Bukowski. À lire d'urgence chez 13e Note Éditions, la meilleure maison d'édition française (selon mon jeune frère qui a été très bien éduqué, ah ah, et moi).


Bukowski, Charles - Apostrophes1 par maceopanam
Bukowski, Charles - Apostrophes2 par maceopanam
Bukowski, Charles - Apostrophes3 par maceopanam
Bukowski, Charles - Apostrophes4 par maceopanam