Le ministère de la Culture gouvernance à fond la caisse

Par Alainlasverne @AlainLasverne

Actu, une nouvelle rubrique sur l'actualité culture, mais sans exclusive, que j'alimenterai une fois ou deux par semaine, au rythme du temps et de l'envie

algré le combat des chefs en ce mois d'avril de l'annus electoralis 2012, le ministère continue à faire ce qu'il a toujours fait depuis 5 ans, produire du législatif à haute teneur technocratique. La France, la différence...Il réforme en faisant, naturellement, un décret compliqué, étendu et obscur.

Cette fois, l'ardente volonté de Mitterrand s'attaque à la presse, prétendant réformer les lois qui organisent les aides à celle-ci. Un monstre du Loch Ness, évoqué au détour de quelques interviews par le locataire de l’Élysée, voulant signifier qu'il ne laisserait pas tomber cette presse pourtant coupable, à ses yeux, d'être « de gauche » et prompte à lui tailler des costumes sur-mesure.

Que celui qui trouvera le montant global exact et la ventilation des aides à la presse, me fasse signe...S'il y arrive, je lui offrirai volontiers un café pour restaurer l'énergie dépensée après des heures et des heures de recherche sur la Toile. En pure perte, à mon avis.

A supposer qu'on puisse dénicher quelque chose dans ce maquis institutionnel qui comprend sept aides directes différentes. Dommage, la situation de la presse n'est pas brillante, globalement. Baisses de ventes, baisse des abonnements, baisse de la pub.

A quelques jours de la fin du spectacle, l'équipe en place au ministère lance un décret réformant non seulement les aides mais instituant un fond stratégique. Il concerne la presse papier et en ligne ainsi que les agences.

Il s'agit, selon le galimatias ultra-libéral ordinaire, de « gouvernance rénovée » qui vise les aides directes. Elles seront désormais attribuées à partir d'une cagnotte nouvelle qu'on n'appelle pas tirelire mais « fond stratégique ». Toujours le même vocabulaire pour fidèles, à connotation militaire. « Stratégique » pourquoi ?..A t-on peur que Castro ou Chavez s'emparent du Figaro, que Poutine mette la main sur le Parisien ?...Sans doute qu'aucun fond n'était disponible, ni aucune stratégie auparavant, pour empêcher un oligarque russe de mettre la main sur France-soir. Nous voilà donc rassurés.

Le fond fusionne deux fonds antérieurs - fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale, et le fonds d’aide au développement des services de presse en ligne- . Il sera « piloté » - encore heureux...toujours ces images à connotation Indiana Jones, comme si un gros tas d'euros n'était pas géré par un comptable. D'ailleurs, il sera « piloté »...Par un haut fonctionnaire.

Trois objectifs l'animent. Aider les projets industriels des quotidiens – également des gratuits qui détruisent la presse réelle et sont financés déjà par la pub - , la presse en ligne et les actions innovantes pour augmenter le lectorat – bonne dernière des aides, normal pour un gouvernement conservateur.

Le texte de loi précise dans le détail le type de convention collective acceptable pour bénéficier des aides. Le diable étant dans ces mêmes détails, les esprits chagrins penseront le staff Mitterrand souhaite séparer le bon grain patronal de l'ivraie collectiviste.

Quant à savoir de combien dispose le fond, quelle sont les sommes minimales et maximales attribuables et attribuées, le citoyen lambda, comme auparavant, n'en sait rien. Et encore moins les critères précis d'attribution.

Autre dispositif nouveau de "gouvernance", à la suite de ce fond-compil : un ajustement. Ainsi, les boulons carrés et les trous ronds vont, à l'évidence, se rencontrer.

Je ne peux résister au plaisir de livrer une partie de ce vocabulaire hexagonal à vos yeux gourmands :

« Le décret procède, enfin, à l’ajustement de certains dispositifs. Formule juste assez vague pour faire sérieux, mais sans en rajouter. Une troisième section est créée pour l’attribution d’une aide aux quotidiens nationaux à faibles ressources publicitaires...belle intention, un peu surprenante, mais bon... prévue par le décret no 86-616 du 12 mars 1986. Si je comprends bien une section est crée pour une aide prévue depuis 1986...Vieux motard que jamais. Cette section doit permettre d’éviter que le développement des recettes publicitaires ne conduise à une suppression brutale de l’aide. Donc, l'aide est attribuée pour ne pas être supprimée. Il revenait au ministère de la Culture d'inventer le mouvement perpétuel. En digne incarnation institutionnelle du tempérament présidentiel, il l'a fait. Chapeau, l'artiste!

Au chapitre des contrôles, puisque toute bonne « gouvernance » implique contrôle, il faut noter l'ampleur du dispositif.

Les contrôles font l’objet d’un « rapport annuel » remis au ministre chargé de la communication et aux représentants du secteur de la presse, « dans le respect du secret des affaires. »

Le citoyen – il ne faut pas l'ennuyer avec de si triviaux détails – ne verra donc pas qui a eut quoi et qui en a fait quoi. C'est vrai qu'en l'état de « dérégulation » actuel de la presse, avec un turnover maximal et un paquet de journalistes à la pige, la situation ne peut aller qu'en s'améliorant, du moment qu'on laisse faire.

Et personne ne pourra empêcher Lagardère, Albert Frères, ou les successeurs d'Hersant de prospérer. Dynamique vertueuse que tuerait toute malencontreuse publicité de ce rapport, si quelque irresponsable agent de l’État le rendait public.

Le sacro-saint « secret des affaires » - on est là dans l'ancien vocabulaire de la finance, toujours de mise quand on est « dans le dur » - serait mis à mal. L'intérêt général, tout le monde peut le comprendre, se verrait malmené gravement si Mitterrand et ses petites mains, dévoilaient l'argent reçu par certains et pas par d'autres. S'ils détaillaient publiquement celui utilisé pour hausser les rémunérations des dirigeants plutôt que recruter de nouveaux lecteurs, ou celui détourné vers l'embauche de cost-killers, dérivé vers d'autres étages par les holdings qui tiennent la presse, plutôt que d'organiser des rédactions indépendantes du marketing et des actionnaires.

Ce serait bête de ne pas finir sur une note pessimiste. L'avenir est ouvert, on ne sait jamais ce dont demain sera fait et la presse demeure l'indice d'une démocratie véritable. 

Il faut saluer le remarquable effort du ministère en faveur de l'emploi.

Pour surveiller comme le lait sur le feu la distribution faite par le fond, il crée un comité biduled'orientation en poste cinq ans durant et présidé par un haut fonctionnaire. Cet éminent comité aura la déterminante tâche d'émettre un avis.

Il comprendra pour ce faire treize ou dix-sept personnes, suivant les cas. Avec égalité ou presque entre les représentants de l’État et ceux de la Presse. On a pensé à la charge de travail que représentent ces heures coincées dans des fauteuils Empire, à digérer quelque burger mal cuits. Chaque homme de la Presse aura un suppléant. A l'heure où jamais un gouvernement n'a fait tant de chômeurs, c'est un remarquable changement de pied, même si on ignore toujours à quel défraiements, à quelle note de frais, voire rémunération forfaitaire donnent lieu ces intenses séances de réflexion.

Naturellement, il n'y aura aucun représentant des lecteurs de cette presse qu'on prétend aider, mais, grâce à Dieu, le secret des délibérations est garanti. Il se pourrait qu'une fumée blanche signale le succès des choix dans la ventilation des aides, à la fin des réunions. Ce, pour les photographes.

Nul doute que le travail à venir va être stimulant pour la gouvernance et la volonté réformatrice. Dans sa sagesse, le ministère n'a pas oublié qu'à tutoyer les cimes on a parfois besoin de sherpas et il approuve l'appel à d'éventuels experts, qui s'ajouteront à l'occasion aux représentants dûment mandatés. Ils auront naturellement droit à prétendre au remboursement de leurs frais de déplacement et de séjour, sur la base du « décret du 3 juillet 2006 susvisé ».

Pour finir, je ne voudrais pas être injuste avec le décret n° 2012-484 du 13 avril 2012. Je confesse bien volontiers qu'il est assorti de stricts critères d'attribution des aides. Ainsi, la situation des entreprises (comptes et liens capitalistiques), les aides antérieures dont elles ont bénéficié, leurs projets et l'effet de ces mêmes. Projets.

Je suis, donc, le premier à convenir qu'à aller trop dans le détail, on risque d'affaiblir la gouvernance et de bouleverser la pyramide hiérarchique de l’État. Bref, on risque de saborder l'ambition réformatrice d'une gouvernance de compétition concurrentielle dans la saine libération des énergies créatrices visant à toucher les dividendes de demain. Et franchement, c'est pas ce qu'on veut.