Mais qui réagirait ? Qui oserait franchir le Rubicon ?
Depuis le milieu de la semaine, on sentait l'hésitation. Depuis jeudi, c'était tendu. Vendredi, cela craqua.
Fidèles ou collaborateurs ?
Certains faisaient toujours mine de ne pas s'étonner de la dérive droitière de leur futur ex-mentor.
D'autres se planquaient comme Alain Juppé ou Jean-Louis Borloo. Ce dernier avait disparu des écrans, alors qu'il n'hésitait pas à se montrer à chaque meeting avant le premier tour. Quelques soutiens ou blogueurs justifiaient que la fin excusait les moyens: « c'est purement tactique » écrivait notre confrère (de droite) Authueil. Ce « rut électoral » ne semblait pas les gêner. Vendredi soir, Valérie Rosso-Debord s'était ainsi lâchée contre Najat Vallaud-Belkacem.
Pourtant, Nicolas Sarkozy était « en rut » électoral depuis bien longtemps, et pour quel résultat ? 6,4 millions d'électeurs pour Marine Le Pen au second tour, et une France républicaine désemparée de voir la droite parlementaire idéologiquement et électoralement absorbée par le Front national.
D'autres restaient encore fidèles. Laurent Wauquiez, évidemment. Nathalie Kosciusko-Morizet, par nécessité. François Fillon, à distance.
On observait François Sauvadet, centriste du gouvernement et encore ministre « Je suis bien dans mes baskets ». Il avait signé un appel à voter Nicolas Sarkozy. Son Nouveau Centre avait de facto été embarqué bien à droite. On observait aussi Jean Arthuis, l'animateur de l'Alliance centriste au sénat, pourtant soutien de Bayrou au premier tour, qui attendit mercredi pour déclarer son soutien à Nicolas Sarkozy.
Se préparaient-ils à la constitution d'un bloc néoconservateur FNUMP ?
Résistants ?
Chantal Jouanno, ex-ministre UMP et ex-conseillère de Nicolas Sarkozy, s'alarma de ce « mirage douloureux », mais elle resta sage. Patrick Devedjian, rescapé d'une chasse sarkozyste dans les Hauts-de-Seine, ne voulait pas de cette droitisation de la campagne. Mais il restait sage. Alain Lambert, candidat Modem aux législatives, et ancien ministre UMP sous Chirac, avoua sa prochaine et probable abstention.
Jean-Pierre Raffarin avait presque franchi le pas, mercredi. Mais il n'avait aucune issue politique en cas de franchissement de Rubicon: « Si j'exprimais aujourd'hui des réserves, j'affaiblirais mon camp ». Il n'osait pas. L'un de ses proches, le sénateur UMP Jean-René Lecerf, eut moins de précautions. Il dénonça cette « course à l'échalote avec le FN ». Jeudi, Renaud Donnedieu de Vabres s'inquiéta: « le malaise est évident ».
Puis, vendredi, voici Dominique de Villepin qui rompt avec ce bal des hypocrites. Ce vendredi, dans une éclairante tribune dans le Monde, l'ancien premier ministre, éconduit pour cette présidentielle à quelques signatures près, confia son désarroi pour son pays.
« La campagne du premier tour a été indigente. Celle du second devient indigne. L'instrumentalisation de faits divers, l'improvisation de bien des propositions, le débauchage sans vergogne de voix extrémistes, tiennent aujourd'hui lieu de débat. Les lignes rouges républicaines sont franchies une à une. Je veux le dire aujourd'hui avec gravité. C'est une route sans retour. (...)Je ne peux cautionner cette dérive. » Dominique de Villepin pensait la France abimée, elle l'était, et depuis 5 ans.
Et Sarkozy ?
Ne comparez pas Nicolas Sarkozy à Philippe Pétain, même si les arguments ou les symboles utilisés paraissent les mêmes. Depuis 2007, quelques citoyens furent condamnés pour avoir comparé la politique du gouvernement Sarkozy à celle de celui de Vichy entre 1940 et 1944. Le site Rue89 a rappelé tous ces cas.
Vendredi à Dijon, Nicolas Sarkozy fit mine de s'étonner: « Depuis lundi, j'aurais durci ma position, extrémisé mes propositions. C'est un véritable procès stalinien : on prend un mot, et on le sort de son contexte ». Bravache, il déclara « On est a fond aujourd'hui et chaque jour on accélère jusqu'au 6 mai! ».
D'après l'accrédité du Figaro, il « comptait sur les électeurs de Bayrou ». Le candidat sortant avait fait déposer sa réponse écrite aux questions du leader du Modem. Il paraît que le courrier avait été « calibré » par sa fidèle Emmanuelle Mignon.
La démarche, sur le fond, restait ignoble. La fin justifiait donc les moyens.Tous les grands écarts étaient permis.
A droite, on espérait enfin quelques claquages.
L'honneur se gagne ou se conserve au bon moment. La France avait besoin d'une droite républicaine. Etait-elle en train de disparaître ?