La Cour administrative d'appel de Lyon vient de rendre, ce 5 avril 2012, un arrêt qui retiendra l'attention des professionnels et des juristes appelés à vérifier les capacités techniques et financières du demandeur d'une autorisation d'exploiter ICPE.
Les juristes qui pratiquent le droit des ICPE connaissent bien la question et la jurisprudence afférentes aux "capacités techniques et financières" que doivent démontrer les pétitionnaires qui sollicitent la délivrance d'une autorisation d'exploiter au titre de cette police. Les professionnels de l'éolien sont désormais soumis à cette obligation, les aérogénérateurs étant classés ICPE.
Le droit positif ne donnant pas de précision quant au contenu de la notion de "capacités techniques et financières", l'étude d'une jurisprudence fournie s'impose pour identifier, au cas par cas, les éléments de preuve à rapporteur pour, d'une part prétendre obtenir une autorisation ICPE, d'autre part prévenir un risque contentieux. L'examen de cette jurisprudence permet d'identifier le faisceau d'indices dont se sert le Juge pour apprécier la réalité et le caractère suffisant des capacités d'un exploitant.
J'ai écrit plusieurs billets sur cette question importante (voir notamment mon commentaire du jugement rendu le 15 février 2012 par le tribunal administratif de Strasbourg, cet article du 30 novembre 2011 et celui-ci en date du 1er septembre 2011) auxquels je me permets de vous renvoyer pour une présentation plus approfondie de cette problématique.
En résumé, le Juge administratif apprécie au cas par cas et de manière précise, concrète, si le demandeur d'une autorisation d'exploiter ICPE justifie de ses propres capacités techniques. La référence aux capacités d'un tiers, dont celles de la société mère n'est jamais suffisante mais peut constituer un indice dont il peut être tenu compte.
C'est dans ce contexte que l'arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Lyon, ce 5 avril 2012, est intéressant, même s'il n'apporte pas de réelle nouveauté à l'analyse. Etaient en cause, comme c'est presque systématiquement le cas, les capacités techniques et financières de l'exploitant dont l'autorisation était querellée.
S'agissant des capacités financières, l'arrêt précise :
"Considérant, en premier lieu, que le pétitionnaire peut établir sa capacité technique sans faire état d'une expérience dans l'activité considérée ; qu'il s'ensuit que, si, comme en l'espèce, la société E n'a jamais exploité un centre de stockage de déchets, il ne saurait lui être reproché de ne pas produire des références dans ce domaine ; que son appartenance au groupe V., qui justifie d'une expérience en matière de conception et de réalisation d'autres centres de stockage et de transfert de déchets suffit pour démontrer ces capacités techniques" .
L'expérience du demandeur est au nombre des indices qui permettent au Juge administratif de contrôler la réalité des capacités techniques. Il s'agit bien d'un indice et non d'un critère unique. Ce qui signifie que l'absence d'expérience ne constitue pas, à elle seule, la preuve de l'absence de capacités techniques du demandeur. L'appartenance à un groupe qui, lui, démontre avoir cette expérience, est prise en compte par le Juge. La rédaction de l'arrêt laisse supposer que l'analyse des capacités techniques du demandeur pourrait se réduire à celle de l'expérience, laquelle pourrait être démontrée par la seule référence à l'expérience de la société mère. En ce sens, l'arrêt trancherait avec le reste de la jurisprudence sur les capacités techniques et financières, laquelle précise que l'expérience est un indice, pas un critère unique comme cela vient d'être dit. Il faut se garder toutefois de surinterpréter les termes de l'arrêt sans avoir connaissance du moyen développé par le requérant. A minima, la lecture des conclusions du rapporteur public serait utile.
S'agissant des capacités financières, l'arrêt précise :
"Considérant, en second lieu, que la société E. a produit un certificat de capacité financière de la Caisse d'épargne de P. attestant qu'elle disposait, avec les associés du groupe V.et ses partenaires bancaires, des moyens financiers nécessaires pour aménager et exploiter les futures installations et satisfaire à ses obligations légales et réglementaires lors de la cessation de l'activité ; qu'elle produit également un document établissant le cautionnement qui lui a été accordé pour un montant de X euros par N. ; que, dans ces conditions, ses capacités financières doivent être regardées comme suffisantes"
Sur ce second point, l'arrêt relève d'une jurisprudence constante pour laquelle la seule référence aux capacités financières d'un tiers ne suffit pas à démontrer celles du demandeur. Ici, si les capacités financières du groupe sont prises en compte, le Juge administratif s'est assuré de ce que la preuve des capacités financières propres du demandeur était rapportée.
S'agissant des éoliennes, sans qu'il soit nécessaire d'entrer ici dans le détail, il n'est pas impossible que l'analyse du lien avec la "société mère" diffère, dés lors que le législateur a prévu un régime spécifique de responsabilité pour cette dernière. L'article L.553-3 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010 :
"L'exploitant d'une installation produisant de l'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent ou, en cas de défaillance, la société mère est responsable de son démantèlement et de la remise en état du site, dès qu'il est mis fin à l'exploitation, quel que soit le motif de la cessation de l'activité. Dès le début de la production, puis au titre des exercices comptables suivants, l'exploitant ou la société propriétaire constitue les garanties financières nécessaires".
Arnaud Gossement
Avocat associé
Cabinet Gossement Enckell