RENAN APRESKI : Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! À une semaine du second tour des présidentielles, je reçois deux électeurs pour débattre de ce scrutin : messieurs Victor Rieux…
VICTOR RIEUX : Bonjour, Renan !
R.A. : …et René De Céssandres.
R.D.C. : Bonjour, monsieur Apreski !
R.A. : Alors, monsieur Rieux, vous êtes chômeur et bénéficiaire du RSA et, cependant, vous votez Nicolas Sarkozy, pourquoi cela ?
V.R. : Voyez-vous, Renan, il y a encore six ans, je travaillais dans un établissement de crédit : en ce temps-là, j’étais du côte du manche, je marchais tout droit vers la réussite, le big boss me tutoyait, j’avais une grosse voiture blanche, tout me souriait… Il faut dire que je ne faisais pas d’états d’âme : j’étais très dur et sans pitié ! Ils sont nombreux, les losers à qui j’ai fait rembourser leurs crédits jusqu’à les faire crever ! Ils n’avaient qu’à lire les petits caractères au bas du contrat ! Quand on est fauché, on crève en silence, on ne se permet pas de vouloir vivre ! En 2007, j’ai donc tout naturellement voté pour Nicolas Sarkozy, le candidat qui défendait les valeurs que j’appliquais dans mon travail : j’étais enchanté à l’idée de faire crever plus de pauvres pour gagner plus ! Et un après, tout a basculé : la boîte a fait faillite, le patron s’est barré avec la caisse, et j’ai pointé au Pôle emploi parmi tous les losers que je saignais à blanc, j’ai revendu ma bagnole d’enfer à un investisseur qatari, ma femme m’a quitté… Aujourd’hui, je ne trouve de travail dans aucun autre établissement de crédit vu qu’avec la crise, ils ne veulent pas s’encombrer d’un gars qui a travaillé pour une boîte qui a fermé, je me suis retrouvé en défaut de paiement de ma maison, l’établissement qui m’avait fait crédit a fait saisir mes meubles… Bref, j’ai vécu ce que j’ai fait vivre à tant d’autres parce que Sarkozy n’a pas tenu ses promesses !
R.A. : Dans ce cas, expliquez-moi pourquoi vous allez quand même revoter pour lui ?
V.R. : C’est une question d’honneur, Renan ! J’ai beau avoir joué de malchance, je reste de la race des winners et je vote pour le candidat des winners ! Je suis déjà devenu malgré moi un assisté, je ne vais pas me mettre pour autant à voter pour le candidat des assistés ! Il y a tout de même des limites au déshonneur !
R.A. : Hum ! Merci, monsieur Rieux ! Vous, messieurs De Céssandres, vous êtes le patron d’une moyenne entreprise qui fait de bonnes affaires, et pourtant, vous votez François Hollande, pourquoi ?
R.D.C. : Voyez-vous, monsieur Apreski, j’ai beau être patron, je ne gagne que 500 000 euros par an : donc, je ne suis pas concerné par la proposition du candidat socialiste de taxer à 75% les revenus supérieurs à un million. Ensuite, si je vote Hollande, c’est pour des raisons tout à fait pragmatiques : premièrement, j’emploie des immigrés qui travaillent pour pas cher, je n’ai donc pas intérêt à ce qu’on me les expulse. Deuxièmement, j’ai quelques actions dans des boîtes cotées en bourse, et après les cinq années calamiteuses de Sarkozy, je crois qu’un changement à la tête du pays pourrait rassurer les marchés et éviter une baisse effroyable du montant de mes actions. Et troisièmement, mon entreprise est une boîte de sous-traitance qui vend des services aux compagnies assurant le transport des particuliers vers la Suisse et la Belgique : donc, quand les Français les plus riches fuiront le pays par peur de voir augmenter leurs impôts, ce sera tout bénéf’ pour moi !
R.A. : Si je résume bien, contrairement à monsieur Rieux, ce n’est pas pour des raisons de principe ou d’idéologie que vous choisissez votre candidat ?
R.D.C. : Pas du tout ! En tant que patron, la seule idéologie que je défends est celle du profit ! S’il faut voter à gauche pour gagner plus d’argent, je le fais ! Monsieur Rieux confirme d’ailleurs ce que je pensais, les pauvres sont vraiment des cons : ils s’accrochent bec et ongle à des principes, comme si c’était ça qui allait payer leurs dettes !
R.A. : Vous ne réagissez pas, monsieur Rieux ?
V.R. : Pour moi, un patron a toujours raison ! Je ne contredisais jamais mon boss, c’est grâce à ça que j’avais pu monter aussi haut ! Avant que je tombe si bas, bien sûr…
R.A. : Hum ! Et bien merci messieurs ! Allez, kenavo !