C'est une exposition sur le corps; une de plus, direz-vous. Mais ici le corps est masqué, que ce soit celui du photographe dont les autoportraits cachent plus qu'ils ne révèlent, ou celui de la vidéaste et danseuse qui ne dévoile que des fragments vêtus de rêve (Galerie Duboys, jusqu'au 5 mai).
Frédérique Chauveaux fut danseuse avant d'être vidéaste, et c'est le mouvement du corps qui l'intéresse. Elle projette ses films sur des écrans qui sont inhérents au film même, c'est ainsi qu'il y a quelques années elle avait pensé projeter sur les draps de mon lit des images d'hommes et de femmes nus roulant d'un bord à l'autre
du lit (elle choisit finalement, à mon grand regret, un autre lit que le mien...). Ces vidéos ne s'appréhendent le plus souvent que dans ces projections incongrues mais si pertinentes, ces clins d'oeil qui fonctionnent mieux dans un espace intime que dans une galerie. Ici une femme s'enfonce dans son oreiller, un vrai oreiller, des mains se lavent dans un lavabo, un vrai lavabo, un torse respire sous une chemise, une vraie chemise. Les objets inanimés y gagnent une âme, mais l'espace est trop public pour que l'émotion s'épanouisse. On se retrouve à préférer ses vidéos classiques, sur écran, où un corps féminin nu est peu à peu recouvert d'une substance blanchâtre entre yaourt et peinture qui le nappe et le transforme en sculpture, arrêtant le mouvement.Lire cette interview et celle-ci.
Le photographe Michael McCarthy ne représente (ici) que son propre corps, mais ses photographies n'ont rien de narcissique, au contraire. Pour traquer son identité, McCarthy explore les voies détournées de l'expérimentation photographique : utilisant des procédés anciens, modifiant ses émulsions, tailladant et griffant ses négatifs, il nous présente une réalité autre, éloignée de la représentation mimétique habituelle, où son visage ou son corps acquièrent une autre dimension, déformée, floue, tordue, mangée de lèpre et de pustules, voilée, aux antipodes de la photo stérile, lisse et pure qui domine le marché. C'est pour lui une forme de quête d'une autre vérité: cette vue de son torse avec une plaie au côté, déchirure du négatif, ne
peut qu'évoquer Saint Thomas, un autre 'douteur'. Ses photographies sont parfois comme des paysages tourmentés et violents, et parfois comme des statues antiques immortelles; la tension du corps vivant, le sien, se traduit dans la matérialité même des photographies. Ce qui compte avant tout pour lui n'est pas tant de reproduire que de mener un processus, qui, de par sa gestuelle et sa matérialité, s'apparente à la gravure et à la peinture plus qu'à la photographie paresseuse (l'appareil fait tout, appuyez seulement sur le déclencheur) : il peint ses papiers photographiques d'émulsions concoctées maison, il triture ses négatifs, il manipule ses tirages, il cherche la difficulté, le vrai travail, on voit l'oeuvre de sa main plus que celle de son appareil. La chambre noire lui permet de créer une réalité autre.On peut lire sur lui ces articles et interviews : Bamboo, Les photographes, La lettre de la photographie et Our Age is 13, ainsi que regarder cette vidéo-interview. Et lire ses critiques plutôt acides d'expos parisiennes est stimulant.
Photos courtoisie de la galerie.