par Henri Carnoy, 1879.
Six paysans se trouvaient un jour réunis à la veillée.
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J'ai toujours eu l'intention, dit l'un, d'aller voir la mer. Malheureusement, il ne m'a pas encore été permis de me contenter. Vous plairait-il de partir demain avec moi pour voir cette grande masse d'eau dont on dit tant de merveilles?
Tous ayant accepté, on convint de partir le lendemain. Le jour fixé, les paysans se mirent en marche. Ils arrivèrent bientôt en vue d'une grande plaine remplie de blés auxquels le vent communiquait des ondulations pareilles à celles de l'Océans.
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La mer! La mer! S'écrièrent à la fois les six compagnons, qui se jetèrent à plat ventre dans les épis pour nager.
Ils arrivèrent à un puits profond. Craignant qu'un d'eux ne fut dans le gouffre, ils se comptèrent.
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un, deux, trois, quatre, cinq, dit l'un en oubliant de se compter. Il y en a un dans le puits. Que faire? Écoutez, je vais l'appeler. Hé! Thomas, y es-tu?
Il leur sembla distinguer le mot oui. Afin d'arriver au fond pour remonter leur camarade, ils appuyèrent par les deux bouts un bâton sur les bords du trou; puis Jacques, le plus fort de la bande, se suspendit par les mains à la canne. Un autre se cramponna à ses pieds,puis encore un autre, jusqu'au dernier.
«Le vois-tu? Cria Jacques à celui-ci. Hâte-toi, car mes mains me font mal.
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Je ne l'aperçois point.
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Il m'est impossible de vous soutenir ainsi plus longtemps. Tenez-vous bien pendant que je vais cracher dans mes mains.
Et le paysan, lâchant le bâton, tomba avec ses compagnons au fond de l'eau bourbeuse, qui les engloutit à jamais.