Anna Gueye m’a fait passer ce lien : « Black Women, Sexual Assault and the Art of Resistance »
60% des femmes noires américaines auraient été agressées sexuellement avant l’âge de 18 ans (il y a 7 ans, le pourcentage était de 40%).
Pour une femme blanche qui porte plainte, 5 ne le font pas. Pour les femmes noires, on monte à 15.
Il faut étudier l’histoire des noirs aux Etats-Unis pour comprendre cette différence. Sur les 455 homme exécutés pour viol entre 1930 et 1967 aux Etats-unis, 405 étaient noirs, nous rapporte Angela Davis.
Chaque fois qu’il fallait justifier une vague de violences, de lynchages envers les noirs, on brandissait la menace du noir, forcément sauvage, forcément violeur.
La scène dans Autant en emporte le vent où Scarlett est assaillie par d’anciens esclaves, et que son mari va venger, est éloquente ; si le noir n’est plus en esclavage, il devient violent et violera les femmes blanches.
Gerda Lerner écrivit au début des années 70 « le mythe du Noir violeur des femmes blanches est parallèle à celui de la mauvaise femme noire. Tous deux servent à justifier et faciliter l’exploitation des Noirs, hommes et femmes; Les femmes noires qui ont pris conscience de ce phénomène se sont trouvées très tôt aux premiers rangs de la lutte contre le lynchage« .
Car, comprenons le, l’idée du noir violeur a légitimé le lynchage.
L’esclavage reposait autant sur les violences physiques que sexuelles. Après son abrogation, les organisations terroristes comme le KKK ont continué, tout en frappant et tuant, à violer les femmes noires.
Et ces organisations racistes firent planter la menace du viol, par des noirs, des femmes blanches ; ainsi des milliers de lynchages furent pratiqués.
Entre 1882 et 1968, 4742 hommes noirs ont été lynchés dont la moitié dans le Mississippi, la Géorgie, le Texas, l’Alabama et la Louisiane.
Voic ce qu’écrivait le Caucus des femmes socialistes de Louisville : « The most effective tool for this division was the cry of rape. An atmosphere was created in which every Black man was pictured to the white community — poor and rich — as a savage potential rapist, who must be kept under control. Rich men raised the cry —and poor white men echoed it, obsessed with the idea that they must protect their women, their property from savage beasts. Rich white women were put on pedestals and treated as dolls. Poor white women lived in poverty and drudgery — in return for the ‘privilege’ of being the symbol of pure white womanhood, the precious piece of property, ‘protected’ by white men. (RAPE AND THE RACIST USE OF THE RAPE CHARGE) »
A cette idée du noir violeur, s’ajoute l’idée de femmes noirs peu vertueuses. Angela Davis nous rappelle que dans les années 20, un homme politique du sud déclarait : il n’existe aucune « fille vertueuse de plus de 14 ans dans le peuple de couleur« .
C’est entre autres pour cette raison que des organisations féministes de femmes noires ont eu du mal à accepter l’expression « slut walk » tant leur histoire était durement rattachée à l’insulte « slut ».
Nous devons malheureusement souligner que certaines féministes ont contribué à certains de ces préjugés. Dans son livre sur le viol, qui est un ouvrage majeur, Susan Brownmiller écrit à propos d’Emmett Till, garçon de 14 ans, torturé d’une manière atroce puis jeté dans une rivière où il agonisa longtemps parce qu’il avait sifflé une femme blanche. Brownmiller parle de « overkill » (usage disproportionné de la force). Je vous conseille de lire ici la mort du jeune homme pour voir si le mot « overkill » est justifié ». Mais Browmiller va plus loin « Emmett Till was going to show his black buddies that he, and by inference, they, could get a white woman. …The accessibility of all white women was on review » (…) « We are rightly aghast that a whistle could be cause for murder, but we must also accept that Emmett Till and J. W. Milam shared something in common. They both understood that the whistle was no small tweet. . . it was a deliberate insult, just short of physical assault, a last reminder to Carolyn Bryant that this black boy, Till, had in mind to possess her ».
Pour Brownmiller, Till et son assassin, Milan ont quelque chose en commun ; ils savaient tous les deux que ce sifflement était une insulte délibérée, disant qu’Emmett Till avait sifflé Carolyn Bryant pour « la posséder ».
Bronwmiller conclura en disant qu’au final, si Till n’avait pas été lynché, peut être aurait-il fini par violer une femme blanch.
Elle rajoute « A l’heure actuelle, le nombre de viols auquel vient s’ajouter le spectre menaçant du viol, en particulier du violeur noir, auquel contribue maintenant l’homme noir lui-même au nom de sa virilité, doit se comprendre comme une atteinte à la liberté, à la mobilité et aux aspirations de toutes les femmes,qu’elles soient blanches ou noires ».
Comment dans ces cas là porter plainte ?
L’histoire enseigne aux femmes, d’autant plus si elles sont noires, qu’on ne les croira pas.
L’histoire leur a appris qu’on les prendra pour des salopes et qu’on prendra les hommes noirs pour des violeurs. Comment faire passer un intérêt personnel avant un intérêt de classe ? Comme ne pas trahir « sa race » ? C’est ce que montre très bien Sapphire dans la préface de Pimp d’Iceberg Slim. Iceberg Slim critiquait la violence de l’homme blanc – bien réelle – mais n’éprouvait aucune espèce de problème à torturer, prostituer des femmes noires. Mais dire cela à l’époque ou même encore maintenant servait à justifiait les violences contre les hommes noirs.
« On les lynche, on les bat parce que ce sont par essence des violeurs ». En ce cas comment porter plainte contre un violeur noir en risquant de faire porter à la communauté entière cette plainte ?
Et on imagine bien que, si le violeur est blanc, l’idée est qu’une femme noire ne sera pas crue.
Précisons évidemment que je ne justifie pas le fait de ne pas porter plainte ; je tente juste d’expliquer ce qui, selon moi, fait que si peu de femmes noires portent plainte.