Jusqu'à aujourd'hui, le droit ne reconnait que deux circonstances qui justifient le crime : la guerre et la légitime défense.
Faut-il prévoir une troisième circonstance, celle où c'est la victime elle-même qui demanderait d'être tuée ?
C'est la question à laquelle la tragédie de Mme Sébire nous invite à répondre. Peut-on prévoir des circonstances et une procédure qui autoriseraient un citoyen à en tuer un autre, avec l'accord
de l'Etat ?
Les opposants à une telle autorisation invoquent, généralement, trois arguments :
- d'abord, les textes seraient difficiles à écrire : la souffrance étant subjective et les progrès de la médecine aléatoires, comment définir les paramètres qui circonscriraient avec la précision
nécessaire le moment où, le mal étant incurable et la souffrance insupportable, le droit de tuer serait autorisé ? ;
- ensuite, il n'appartiendrait pas au médecin de tuer, mais de guérir : l'euthanasie serait donc contraire aux principes fondateurs de la médecine ;
- enfin, ultime argument, la vie étant chose sacrée, le droit à la vie serait, en toutes circonstances, préférable au droit à la mort.
De l'autre côté, ceux qui plaident pour l'euthanasie indiquent, respectivement, sur chacun de ces trois points :
- premièrement, que d'autres pays ont su définir les circonstances et les procédures autorisant l'acte : l'argument de la technique juridique n'en est pas un. Il existe, objectivement, une mesure
du mal et une connaissance de son évolution qui permettent d'écrire des textes à portée universelle ;
- deuxièmement, l'argument selon lequel le médecin ne saurait tuer est un argument qui fait fi des réalités : tous les jours, des médecins feraient le choix de ne plus soigner, considérant que le
prolongement d'une souffrance extrême, conjuguée à l'illusion d'une guérison, ne sont pas davantage conformes à la mission qu'ils ont épousée en prêtant serment ;
- enfin, et troisièmement, l'argument du droit sacré à la vie, en toutes circonstances, relève de croyances religieuses et n'a donc pas à prévaloir dans un Etat qui sépare la loi de Dieu et celle
des hommes.
Comment se positionner devant ces deux visions qui occupent largement l'espace du débat ?
D'abord, regretter les visions extrémistes qui marquent ces deux discours :
- dire que nulle évolution n'est possible parce que le droit ne saurait prendre en compte ces situations me paraît être la marque de l'argument d'autorité par excellence ;
- l'invocation de même du droit à la vie me parait déplacé : on ne peut pas à la fois plaider pour la laïcité dans les textes et mettre en avant ses croyances dans les faits. Qui donc peut
décider du caractère sacré de la vie que celui ou celle qui la détient en propre, Mme Sébire en la circonstance ? ;
- mais, pas davantage, me parait convenir le discours sur la "dernière liberté" : quelle est donc cette liberté qui n'invite pas au choix ? C'est parce qu'elle souffre terriblement et parce que
tout espoir de guérison est perdu que Mme Sébire veut mourir : ce choix là n'en est pas un, cette liberté là n'en est pas une. Il ne s'agit pas de la dernière liberté mais de l'ultime contrainte.
Ne donnons donc pas à cet acte le caractère libre qu'il ne revêt pas ;
Bref, j'aimerais que dans ce débat, on dépasse de chaque côté les discours moralisateurs qui ne me semblent pas correspondre aux faits. Une morale de la vie d'un côté, une morale de la liberté
de l'autre.
Ce qui importe, c'est de soulager la peine. C'est le rôle de la société en général. Ici, comme ailleurs.