On peut trouver tous les livres de Bernard Frank (1929-2006) publiés en un seul volume. Ses œuvres complètes.
C'est passionnant, Bernard Frank. Vous connaissez?
Né en 1929, garçon précoce, intelligent, Frank découvre pendant la guerre qu'il est juif. Il survit aux persécutions mais se réfugie dans la littérature. Comme Sartre est le plus important auteur vivant de l'époque, après la guerre, Frank le contacte sans vergogne et lui fait lire un manuscrit, Géographie universelle, excellent répertoire d'imaginaire et de rêverie littéraire. Du coup, Sartre l'engage à l'essai pour la rubrique littéraire de sa revue Les Temps modernes et lui propose une publication chez Gallimard.
Premier petit bémol. Frank, qui a 24 ans, préfère La Table Ronde. Cette maison d'édition lui promet un plus gros à-valoir. Le livre se fait remarquer. Son auteur savoure le succès et publie un an plus tard un gros roman, Les Rats, dans lequel apparaît Sartre en tant que personnage.
A mon avis, le livre n'est pas très bon. Et suit un autre échec. Les existentialistes, dont Frank parle avec provocation, sont agacés par son attitude, par son portrait de Sartre dans Les Rats, et par sa relation avec le grand écrivain.
Le genre est connu: un jeune homme extrêmement doué qui mêle provocations, insolences, paradoxes et intelligence pour se faire remarquer par le maître mûr, amusé et conscient du talent en devenir de son interlocuteur. Finalement Frank se fait virer des Temps modernes et rejeter par Sartre qui s'explique : « Bernard Frank est insupportable. Bernard Frank est un casse-pieds. ».
C'est un drame qu'il ressasse pendant 20 ans. Il reprend cette histoire sur des centaines de pages, tâchant de se l'expliquer.
Mais il rencontre un autre écrivain à succès: Françoise Sagan. Elle est jeune, elle gagne beaucoup d'argent. Frank arrête d'écrire, vit chez elle, se fait entretenir, boit comme un trou et joue à la roulette.
A plus de cinquante ans, il se range enfin. Mariage, paternité. Le Nouvel observateur lui offre une chronique littéraire hebdomadaire qui fait le bonheur de certains lecteurs dont j'ai été. Il y parle de livres, d'alcool, de cuisine: rien que des bons sujets!
Et puis il a de grandes connaissances littéraires, le sens de la formule, de l'humour, du cynisme, et un peu de méchanceté né d'un sentiment de sa supériorité. Ses coups de griffes sont délicieux. Tout ça ou presque est recueilli dans le volume chez Flammarion.
Bernard Frank, Romans et essais, Flammarion