Charlotte Charbonnel, Stéthosphères
Le travail de Charlotte Charbonnel, présenté à Backslash (jusqu'au 28 avril) après qu'on l'ait vu dans des expositions collectives, puis à Bruxelles et cet été à Arles, s'il reste basé sur une fascination pour la science et l'expérimentation, évolue maintenant vers une alchimie tentant de combiner le son, la matière et le mouvement. On retrouve ici les belles oeuvres magnétiques vues à Arles, sculptures de limaille aimantée et dessins fossiles combinant l'aléatoire de la physique et le déplacement ou son gel. On retrouve aussi le dispositif de cordes tendues et vibrantes, à plus petite échelle qu'à Bruxelles. On retrouve enfin la première oeuvre que j'avais vue d'elle à Jeune Création, Stéthosphères, où le spectateur, faisant tourner entre ses mains une sphère transparente remplie d'étranges matériaux, plumes ou poils, entend les sons mystérieux que son action produit.
Charlotte Charbonnel, Syphonie pour Orgue
Charlotte Charbonnel, Syphonie pour Orgue
La pièce la plus impressionnante de l'exposition se trouve sur le palier entre les deux niveaux de la galerie, lieu d'ordinaire assez ingrat et peu hospitalier, où Charlotte Charbonnel a construit un orgue, fait d'un rhizome de tuyaux en PVC enchevêtrés, reliés au siphon de l'immeuble, écho visuel des rambardes et des rampes. Cette sculpture grise dont les éléments grouillent au sol ou s'élèvent vers la verrière comme des doigts en érection ou des tuyaux de cornemuse, est aussi un instrument musical aléatoire : de petits micros que des
Charlotte Charbonnel, Syphonie pour Orgue
ventilateurs agitent doucement sont couplés à des enceintes et produisent un son Larsen sombre et mugissant (Syphonie pour Orgue; oui, Syphonie). Ne se satisfaisant pas de la seule combinaison du son, du souffle et du hasard, Charbonnel se démarque du travail d'un Céleste Boursier-Mougenot pour faire aussi une oeuvre sculpturale occupant l'espace.
Charlotte Charbonnel, Pantonier sonore
Charlotte Charbonnel, Pantonnier sonore, bruit rouge
Toujours en quête de cette symbiose entre son et matière, elle présente ici un Pantonier sonore, étalonnage de bruits colorés (le bruit blanc, bien sûr, mais aussi les bruits violet, bleu, rose, gris et rouge) où la courbe des fréquences est traduite sur des conformateurs : elle rend ainsi visible un son indistinct. Le bruit rouge, ci-contre, est aussi dénommé 'random walk', marche au hasard, dérive, ou 'drunkard's walk', marche de l'ivrogne. La sculpture, ici, fige le son en forme, son mystère (en tout cas pour un non-acousticien) évoque les sculptures mathématiques photographiées par Sugimoto.
Charlotte Charbonnel, Phonoglyphe
Georges Charpak et Mathias Fink (l'homme du retournement temporel) avaient fait l'hypothèse que les voix des potiers de l'antiquité auraient pu être enregistrées dans leurs céramiques et tentèrent en vain de le prouver en mettant leur théorie à l'épreuve des vases des collections du Louvre. Partant de cette histoire qui semble faite sur mesure pour elle, Charlotte Charbonnel montre ici des échos modernes de ces poteries antiques, des empreintes de matrices de disques vinyles dans l'argile et la terre, où la trace du son est désormais enfouie dans la matière, sculptures murales fantomatiques devenues illisibles, inaudibles (Phonoglyphe). Cette inscription du son dans la matière, cette transformation du bruit en sculpture qu'on retrouve dans plusieurs de ses pièces, m'ont évoqué le travail (plus social que scientifique, mais tout aussi utopique) de Cléa Coudsi et Eric Herbin inscrivant dans la brique de leurs maisons le discours des habitants chassés, discours conservé mais à jamais perdu car non lisible.
Charlotte Charbonnel, Matières
Enfin, on trouve en bas six petites photographies dénommées Matières : devant ces formes colorées, le spectateur ne sait quelle distance avoir, il ne sait quelle en est l'échelle, si ce sont des étoiles au télescope ou des atomes au microscope, il ne sait si ces formes sont liquides ou solides, ou même gazeuses, qui sait. Plus que de curiosité, on est saisi d'effroi, d'incompréhension, et en même temps on est fasciné : comme les images atomiques d'Edgerton dont parle James Elkins, ces photographies ne sont pas à la mesure de l'homme, et, partant, elles nous interrogent sur la photographie même.
Lire la critique de Julie Crenn.
Photos 4 & 8 courtoisie de l'artiste. Autres photos de l'auteur.