Vendredi du Vin 45 # : de l'art et du cochon

Par Daniel Sériot


  Est organisé une conférence sur le thème du vin à travers la peinture. Magnifique ! Je m’en délecte d’avance, et rejoins un groupe vissé aux basques d’une guide au discours agité dans tous les sens, bientôt comme ses cheveux Color Show noir intense de l’Oréal parce que son âge le vaut bien…
Passage obligé devant La Descente de la Croix de Rubens,

une splendeur monumentale qui vous rendrait presque Golgothamane… en poussant un peu le bouchon… Ce que fait d’ailleurs la guide : elle montre que Saint Jean recueille le sang du Christ, souvenir du vin offert lors de la dernière Cène.
Là, pour le coup, je m’inquiète.
Saint Jean s’est voulu le premier témoin de l’immortalité acquise dès cet instant grâce à la vue de l’eau et du sang qui se mettent à couler après le coup de lance des soldats. Ce que traduit très EXACTEMENT Rubens !

Je me dis alors qu’une telle thématique, le vin à travers la peinture, encourage finalement à construire des symboliques hasardeuses, pour ne pas dire fantaisistes.
Confirmation : analyse et découverte d’une véritable brochette de Dionysos (bon, d’accord, le dieu du vin…) entrelardés de Silènes, tout nus ou pas tout nus, drôles, sarcastiques, concupiscents, ou aguicheurs d’Allais à Mignard. Heureusement, l’alphabet lillois s’arrête au M.
L’analyse devient plus intéressante pour les natures mortes. Le verre enfin apparaît, ce qui me rassure, quand même ; j’avais fini par croire que mon imagination s’était vilainement anesthésiée. N’est pas Magritte qui veut, sauf la guide (mais ceci n’est pas une guide) pour voir du vin dans les clair obscur flamants du XVIIè, ou encore dans l’oreille de l’autoportrait de Carolus Durand. J’ai pourtant cherché. Rien vu. Même dans les craquelures du tableau !

Bref, les verres font leur apparition. Dévirtualisation du concept du vin, le seul que je suis capable de comprendre – et d’intérioriser! Plusieurs scènes me frappent, et je me glisse dans ces images pour mieux les boire. Le verre de Chardin me livre les souvenirs d’enfance de la timbale en argent… et les papilles me démangent d’un coup… Je me prends à rêver le vin qui vient alors à me manquer terriblement.
Mal qui s’amplifie avec le verre rempli généreusement du tableau de Nattier, sa Scène Galante, et avec la ciselure translucide travaillée à la perfection de celui de Beyeren. Me voilà transportée dans l’Olympe vinique des Cheval Blanc, Gruaud Larose, Cos d’Estournel and Co quand l’autre parle (blablabla…blablabla…) de métaphore de pelure de citron pour évoquer la fuite du temps et la vanité de notre existence.
Bouh !… Un monde nous sépare !
Je redescends de l’astéroïde B612 et me plante devant la Tentation de Saint Antoine par David Téniers.

Revenant de son exil dans le désert où il sut braver toutes les tentations, Saint Antoine subit encore les exhortations d’une jeune femme lui offrant un verre de vin. La guide précise (au début je croyais qu’elle faisait de l’humour) que la femme incarne les sept péchés capitaux, en particulier la gourmandise et la luxure, et qu’elle est pour Saint Antoine une épreuve démoniaque. Evidemment, la misogynie biblique n’en est plus à cela près. Mais quand même ! Ne pas y voir l’extrême raffinement d’une magnifique jeune femme qui a perçu dans le vin ses délectables qualités (excusez les pléonasmes et tautologies) au point de les offrir avant elle-même me bouleverse. Ce tableau m’est une splendeur ; enfin la sacralisation de la femme et du vin !!! Bon, que Saint Antoine refuse le vin, soit ! Il doit être atteint du syndrome d’Erostrate ou alors il a lu Nossiter. En revanche, je reste perplexe, médusée de ce que David Téniers soit si galvaudé. Nul doute que ce peintre devait aimer les femmes et le vin, et son œuvre en est le plus bel hommage ! Réunir la majesté féminine à l’œnologie ! Je quitte le musée, comme Dante a quitté les Enfers, et lève la tête vers un magnifique ciel étoilé…