« Le capitaine et ses matelots, c’étaient pas des enfants de salauds »
Georges Brassens
Mon pauvre vieux Nico. Dans une dizaine de jours, quand les électeurs te renverront sans ménagement à tes pénates, tu devrais mieux comprendre pourquoi les Arcelor Mittal sont enragés à l’idée de perdre leur boulot. Encore que ton bas de laine devrait te prémunir des huissiers et des autres oiseaux de malheur qui gravitent autour de la pauvreté. Non que je nourrisse une haine particulière à l’encontre des huissiers: à l’instar des remorqueurs de bagnoles décomposées et des fabricants de missile, ils ont un « vrai travail » comme tu dis, un qui crée de la croissance au lieu de prendre l’usager en otage.
Je ne sais pas si tu as de l’humour, mais à titre personnel je me fends la poire à l’idée qu’un bonhomme qui fait campagne sur la menace de l’immigration se retrouve grosjean comme devant et désoeuvré au Cap Nègre. Qu’il se fasse souverainement chier dans un lieu où il a usé de son autorité pour une histoire de tout à l’égout. L’éternel retour du même, une fois sous une forme tragique comme tes cinq années de mandature, une fois sous une forme comique comme la tête de tes derniers soutiens qui tiennent Hollande pour un avatar de Louise Michel. Ah oui, au fait je te tutoie: on est comme ça chez les gauchistes, on se donne du camarade, on se serre les coudes et on se sert à boire sans regarder l’étiquette sur la bouteille de pinard. Mais ne t’inquiètes pas, je vais t’initier.
Parce qu’au fond tu me fais de la peine. J’ignore si tu crois vraiment à toutes les conneries que tu débites, je doute même que tu te souviennes du dixième des propos que tu as tenus. Autant te mettre au parfum: beaucoup de gens vont fêter ton départ, avec force boissons à l’éthanol et propos revanchards. Au fond, ce n’est que justice. L’Histoire est mauvaise fille, et la seule trace que tu y laisseras sera une rature grossière. Et moi le premier, j’ai déversé des tonnes d’immondices sur tes projets hasardeux, tes discours insensés, tes amitiés interessées (dans les deux sens), et tes employés tous plus abrutis les uns que les autres. Tu nous as fait perdre cinq ans dans la course au bonheur et à la liberté, et cinq ans ça ne se rattrape sous le sabot d’un cheval, même dans les hippodromes qu’Eric Woerth a bradé à vil prix.Et pourtant je ne t’en veux pas, parce que je sais que le pouvoir laisse des traces indélébiles même chez le meilleur des hommes.
Ceci étant dit, il me faut avouer que même chez l’anarchiste le plus enragé sommeille un chrétien ivre de rédemption, et surtout ivre d’offrir la rédemption. On saurait difficilement être plus différents tous les deux: tu aimes les toquantes en minerai précieux, et je refuse d’être l’esclave du temps. Tu veux à toute force sauvegarder notre mode de vie, et je ne cesse de déplorer que mes contemporains laissent délibérément crever la moitié de l’humanité (et le reste du vivant) pour s’accrocher à des miettes de confort. Tu accables l’étranger de tous les maux alors que le bleu-blanc-rouge est ma couleur préférée pour le papier toilette (c’est dur à trouver mais ça existe) et que je trouve que l’immigration est toujours positive. Tu ne bois pas alors que je sais précisément que la formule chimique de l’alcool est CH3-CH2-OH, et que je connais chaque enzyme dévoreur de foie par son prénom. Tu aimes l’accumulation du pognon alors que je fais de la dépense un principe de vie, et pas que sous sa forme monétaire. A priori, nous n’avons donc rien en commun sinon un goût marqué pour les étrangères. Mais un seul point d’achoppement, c’est parfois le principe sur lequel on forge les plus solides amitiés. Castor et Pollux, Rimbaud et Verlaine, Montaigne et la Boétie, Tintin et Milou, Nietzsche et Wagner, Oreste et Pylade, l’électron et le proton, Gilgamesh et Enkidu, tous antinomiques et copains comme cochons. Aussi te proposé-je un deal.
Le 7 mai, viens faire un tour à Metz. Autant l’avouer, ce n’est pas la Côte d’Azur. Il y fait un temps pourri onze mois sur douze, et le taux de chômage dépasse allègrement le quotient intellectuel de Frédéric Lefevre. La transition sera douce, 25% de mes concitoyens goûtant les grouinements de Marine Le Pen. Mais je te propoe autre chose. Tu peux emmener Carlita, je lui apprendrai à désaccorder sa corde de sol en fa dièse et à faire de la musique modale. Par contre laisse Nadine Morano chez nos voisins de Meurthe et Moselle, le jour où on aura besoin d’une grosse caisse tu me donneras son 06. Emmene aussi la petite Giulia. Par la grâce d’un Concordat archaïque, on a de belles écoles non laïques où l’on pourra la dresser en attendant qu’elle soit en âge d’être éduquée.
Et quand tout le monde t’aura abandonné, quand tes anciens alliés lèveront le poing vers le ciel en maudissant le jour de ta naissance, quand la postérité rangera ton patronyme aux côtés de Pétain et de Laval, moi je serai là, pour dire parce que c’était lui parce que c’était moi. Patiemment, je te consolerai, et je t’expliquerai pourquoi le pauvre sent la sueur, pourquoi l’argent ne peut acheter que ce qui n’a aucune valeur, pourquoi l’Islam ne porte pas plus le terrorisme que la secte des collectionneurs de cravate, et pourquoi la fonction est la chose la plus avilissante qu’il soit pour l’honnête homme (entendu au sens d’honnête homme et d’honnête femme, mais la langue française malgré sa richesse lexicale ne possède pas l’équivalent de l’allemand Mensch, ce qui m’oblige à me justifier à chaque fois). Je t’expliquerai pourquoi la vie d’une mouche vaut celle d’un homme, d’autant plus qu’ils partagent le même penchant pour l’alcool mauvais pour évacuer leur frustration, si j’en crois Science&Vie, ainsi qu’une propension à gober de la merde, si j’en crois ton dernier mandat.
Je n’ai pas l’audace de croire que je vais te convertir au Grand Rire, à la Grande Santé et au Gai Savoir, trop imprégné que je suis de l’adage qui veut qu’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut boire. Je ne souscrirai jamais à la dialectique du maître et du disciple, car seule l’expérience et le matérialisme immanent peuvent enseigner la sagesse. Encore plus loin de moi l’idée de te métamorphoser en parangon libertaire dans l’optique de 2017, car le pouvoir te referait instantanément replonger dans tes vices. Mais instruit de la solitude des sommets, je te garantis, mon poteau Nico, qu’on va s’éclater comme des bêtes et que for ever and ever, on sera désormais les meilleurs copains.