Le représentant (khalifa) d’un maître soufi recrutait pour les exercices tous ceux qu’il pouvait trouver.
Cette façon de procéder lui valait bien des critiques.
« Les soufis n’ont cessé de répéter que seuls ceux qui peuvent en tirer profit sont autorisés à faire les exercices. Cela n’est pas le soufisme ! » disaient ses censeurs.
Le khalifa leur répondait :
« Il est dit aussi : « C’est à la fin de la journée que le commerçant fait le compte des profits et pertes, pas au début. »"
Il continua de recruter n’importe qui.
Tous les jours il interrogeait les élèves, et les incitait à s’interroger : étaient-ils sérieux, étaient-ils sincères ? Tous juraient qu’ils l’étaient. Pourtant le désaccord était flagrant entre leurs paroles et leurs actes.
Alors il décida de ne plus leur parler, et les prévint par ces mots :
« Je vous fais commettre un péché chaque fois que je vous demande d’affirmer quelque chose et que vous mentez. »
Beaucoup partirent, écœurés. « Nous ne sommes pas des hypocrites », disaient-ils. Et pourtant ils l’étaient. Il critiqua ceux qui restaient, et ils furent plus nombreux encore à s’éclipser. Puis il simula la folie. Bon nombre des disciples restants l’abandonnèrent. Les plus charitables soupiraient :
« Le pauvre, il aurait été parfait s’il n’avait pas été fou ! »
Vint le jour où il n’eut plus que six élèves.
« Je suppose, dit l’un d’eux, que nous sommes les vainqueurs des épreuves, et que le maître maintenant va nous instruire en personne…
– Non, malheureusement, dit le khalifa : seuls quelques-uns parmi vous sont de vrais disciples. Les autres sont si obsédés par la quête de la connaissance secrète, sont en fait si avides, qu’ils feront n’importe quoi, supporteront n’importe quoi, plutôt que de partir. Avant que je présente à notre maître la sélection finale, je devrai les exclure, ou faire en sorte qu’ils s’excluent eux-mêmes. »
*****************************************************