Il n’y a pas trente-six solutions si le leader centriste veut préserver l’existence d’un pôle central dans le paysage
politique français. Il faut qu’il prenne clairement position pour le second tour, contrairement à 2007.
Le premier tour de l’élection présidentielle de 2012 risque fort d’être la dernière douche froide avant noyade pour le candidat centriste François Bayrou. L’échec du 22
avril 2012 est patent, avec une perte de près de 3,5 millions de voix par rapport à 2007. Mais le plus grave n’est pas cela, car avec ses plus de 3,3 millions de voix, François Bayrou pourrait
encore peser sur le second tour qui se terminera avec un écart bien plus faible que ce nombre.
Le plus grave, c’est le risque de se retrouver une fois encore avec une division de ses partisans comme dans
l’entre deux tours de 2007. Ce qui prouve d’ailleurs qu’il n’était pas si isolé que ça !
Certes, François Bayrou est dans une position intenable : ayant fustigé à la fois Nicolas Sarkozy et François
Hollande, il ne voudrait pas montrer qu’il retourne sa veste pour soutenir l’un des deux. Pourtant, est-ce vraiment responsable de ne soutenir aucun des deux candidats, ne serait-ce que du
bout des lèvres ? Même partisan de la reconnaissance du vote blanc, François Bayrou doit forcément
prendre position.
Car ce fut sa principale erreur de 2007 : refuser de prendre position dans le second tour, ce qui a
abouti à dilapider en trois jours tout son "capital électoral" de près de 7 millions de suffrages. La plupart des parlementaires qui l’avaient soutenu en 2007 le quittèrent avec armes et fracas
sous la houlette (molle) d’Hervé Morin pour créer le Nouveau centre et préserver un groupe centriste à l’Assemblée Nationale et les espoirs du Mouvement démocrate
(MoDem) rassemblant au début entre quatre-vingt et cent mille adhérents se sont vite épuisés au fil des scrutins du quinquennat.
À l’époque, François Bayrou tablait sur une explosion du Parti socialiste, en proie à des divisions
irrémédiables et à son incapacité à se trouver un leader et un candidat. Le PS est effectivement tombé
jusqu’au fond du trou en novembre 2008 à Reims, mais grâce à la reprise en main de Martine Aubry, la préparation de la primaire organisée par Arnaud Montebourg et la victoire de François Hollande en octobre 2011, les troupes socialistes se sont trouvés des raisons de croire en leur victoire.
Aujourd’hui, la situation semble s’inverser : au contraire de 2007, les pronostics donnent Nicolas
Sarkozy perdant et François Bayrou pourrait alors miser sur l’explosion de l’UMP, d’autant plus que les pressions provenant du score élevé de Marine Le Pen amplifieront les forces centrifugeuses créées par une éventuelle défaite présidentielle.
Là encore, l’idée d’éclatement de l’UMP paraît mauvaise : quand on voit Jean-François Copé mais aussi Alain Juppé anticiper les risques d’un échec du second tour et prévenir tout éclatement en verrouillant au maximum pour les législatives, on peut comprendre que l’UMP, en pleine
tourmente, pourrait au contraire gagner en unité, par un mécanisme assez simple qui pourrait s’exprimer simplement par la trouille de ses élus.
Déjà, beaucoup de proches de François Bayrou ont pris position, sans trop de surprise, en faveur de l’un ou
de l’autre des candidats du second tour. Ancien secrétaire national des Verts, Jean-Luc Bennahmias, avec très peu d’élégance, s’est précipité dès l’annonce des résultats dans son soutien à
François Hollande. Olivier Henno, conseiller général et premier président de la communauté urbaine de Lille dont la présidente est Martine Aubry, a pris également la même position. Plus
inattendue, l’ancienne ministre chiraquienne Dominique Versini a aussi annoncé son vote Hollande. En revanche, les sénateurs centristes Jean Arthuis et François Zocchetto ont annoncé leur soutien
au Président Nicolas Sarkozy.
Il est d’ailleurs faux de dire que l’électorat de François Bayrou de 2012 penche plus au centre droit qu’en
2007. Les sondages sont relativement précis dans les reports de voix, un tiers pour Nicolas Sarkozy, un tiers pour François Hollande et un tiers qui refuse de choisir. La perte de plus de la
moitié de son électorat entre 2007 et 2012 s’est traduit par un soutien dès le premier tour du centre droit à Nicolas Sarkozy (à l’instar d’Hervé Morin) et du centre gauche à François Hollande.
Ceux qui ont persévéré à voter François Bayrou le 22 avril 2012 sont au contraire des "centristes du centre" qui souhaitent l’autonomie complète (ni droite ni gauche). Il est donc normal que ce
noyau dur de centristes (9,13%) se disperse dans un second tour qui consacre la bipolarité du paysage
politique.
Il est donc faux de dire que le score de François Bayrou en 2012 correspond à l’audience classique du centre
en France autour de 10%. Parce que déjà, il vaut plus, Raymond Barre avait eu plus de 16,5% et avait rassemblé
tant à droite qu’à gauche (beaucoup de reports de voix avaient bénéficié à François Mitterrand au second
tour de 1988), et ensuite parce qu’une grande partie de ce centre, ou plus exactement, de ce centre droit avait choisi Nicolas Sarkozy dès le premier tour.
C’est d’ailleurs le vrai problème du MoDem qui est une sorte d’auberge espagnole pour ne pas parler d’ovni
dans le paysage politique : il n’est pas l’héritier de l’UDF ni du centre droit car il rassemble
aussi des personnes issues de la gauche, soit des Verts, soit du PS captées en 2007 par une opposition à Ségolène Royal. Le risque est donc fort, plutôt que d’une explosion de l’UMP, d’un éclatement du MoDem et il serait quand même étrange de vouloir coûte que coûte la survie du MoDem
alors que ses principaux dirigeants prennent une position divergente lors de l’échéance principale de la vie démocratique.
Ce qui est crucial, c’est surtout le positionnement personnel de François Bayrou entre les deux tours. Car
celui-ci aura des conséquences essentielles sur l’avenir du centre en France, en terme de structure partisane et d’élus. L’enjeu, c’est la renaissance ou pas d’une mouvement centriste possédant
une force de frappe parlementaire non négligeable (un groupe à l’Assemblée Nationale qui ne soit pas un clone de l’UMP comme le NC).
La personnalité de François Bayrou est exceptionnelle : il a montré un courage politique sans faille (malgré les innombrables appels du pied), une intégrité, une honnêteté intellectuelle, des convictions
solides comme du roc. À presque 61 ans, il a encore beaucoup à apporter au pays. Mais à la condition de prendre un positionnement utile à ses idées.
D’ailleurs, son score du premier tour de l’élection présidentielle du 22 avril 2012 (3,3 millions de voix)
est nettement plus élevé que celui du MoDem au premier tour des élections législatives du 10 juin 2007 qui était de 7,6% (à peine 2 millions de suffrages), un mois et demi seulement après avoir
recueilli près de 7 millions de voix. Il est aussi beaucoup plus élevé qu’aux élections européennes du 7 juin 2009 où le MoDem n’avait même pas convaincu 1,5 million d’électeurs (soit 8,5%).
La question franche, c’est : quel serait le positionnement de François Bayrou où il serait le plus
utile ? Et la réponse fait peu de doute.
À gauche, François Hollande a repris toute la mythologie du 10 mai 1981, celle de l’union de la gauche de François Mitterrand et celle de la gauche plurielle de Lionel Jospin. Cette
alliance PS-EELV-PCF est certes traditionnelle mais plombe toute tentative de recentrage, notamment sur un aspect essentiel de la politique de la nation, l’équilibre budgétaire. Par ailleurs,
François Hollande n’a pas besoin de François Bayrou pour gagner : donné largement favori dans les sondages, il peut se permettre de bouder les électeurs centristes (d’autant plus qu’il
cible plutôt ceux du FN).
À droite, au contraire, Nicolas Sarkozy a besoin de faire le plein de toutes les voix qui ne se sont pas
portées vers son nom au premier tour. Il essaie avec une dextérité politique incroyable de rendre compatibles ses clins d’œil aux électeurs du FN et du MoDem. Dans une interview dans la presse
régionale de l’Est le 25 avril 2012, Nicolas Sarkozy a ainsi expliqué doctement : « Si on laisse l’immigration sans contrôle, la première
conséquence, ce sera l’aggravation des déficits de nos régimes sociaux (…). De ce point de vue, les préoccupations des électeurs de M. Bayrou et du Front national sont les mêmes, même si les
chemins sont différents. ».
Un jeu d'équilibriste qui a mis en colère François Bayrou, interrogé par l'AFP le 25 avril 2012, qui a réfuté catégoriquement l'équation sarkozyenne : « Aborder la question de l'immigration
en validant la thèse du Front national et en prétendant que les déséquilibres des comptes sociaux étaient dus aux immigrés, c'est un reniement d'un demi-siècle de politique sociale en France.
C'est un reniement du gaullisme aussi bien que des démocrates-chrétiens et humanistes. ».
François Bayrou semble s'être nettement éloigné d'un soutien à Nicolas Sarkozy ce mercredi : « Les propos de Nicolas Sarkozy tendant à confondre les électeurs qui ont voté pour moi et ceux de
Marine le Pen sont absurdes et offensants. (...) Le courant politique que j'anime s'est toujours défini par des valeurs qui sont d'abord humanistes. (...) Cette course ventre à terre derrière les
thèses du Front national est humiliante. Elle est de surcroît vouée à l'échec parce que la France est un pays construit autour de principes qui ne se laisseront pas entacher. ».
Mais l’idée principale, c’est quand même la faisabilité d’un groupe centriste indépendant à l’issue des législatives de juin 2012. Et là, il
n’y a pas vraiment photo. Le PS a déjà scellé ses accords avec le PRG et EELV et jouera à fond, comme
toujours, la "discipline républicaine" pour favoriser le maintien d‘un groupe communiste ou Front de
gauche.
En revanche, il y a une réelle attente à droite pour la
construction d’un tel groupe au centre droit : les radicaux valoisiens de Jean-Louis Borloo qui
étaient prêts à quitter le groupe UMP (Jean Leonetti, avant d’être ministre, était cependant contre), le
Nouveau centre, des centristes de l’UMP (sous la houlette de Pierre Méhaignerie).
Radical après avoir été centriste à l’époque de l’UDF, Dominique Paillé a donné une petite idée de cette attente : « François Bayrou a raison de vouloir créer un pôle central. Mais la difficulté, c’est que son leadership soit accepté. ». Pour qu’il soit accepté,
ce leadership, il faut que le leader centriste se positionne clairement.
On le voit, une position favorable à Nicolas Sarkozy serait la moins mauvaise des choses pour l’avenir du centre, d’autant plus que Nicolas Sarkozy
aurait peu de chance de l’emporter le 6 mai 2012 (ce qui éviterait de devoir ensuite se positionner pour participer ou pas à un gouvernement).
Comme aucun candidat n’est propriétaire de ses voix, la position de François Bayrou sur le second tour aura
certainement peu d’influence dans son électorat (à part une part très faible d’hésitants), mais elle sera déterminante pour l’avenir du centre.
Officiellement, François Bayrou a envoyé ce mercredi une lettre
aux deux candidats finalistes pour connaître leur position sur la moralisation de la vie politique,
la réduction de la dette et la réindustralisation de la France, et il prendra ses responsabilités après le débat télévisé du 2 mai 2012.
S’il répétait la même erreur que 2007, celle de ne pas prendre position, l’idée d’un rassemblement au centre
de la vie politique serait remisée aux oubliettes de l’histoire, dans le casier des bonnes idées jamais mises en pratique pour défaut de méthode.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (26 avril
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le vote Bayrou.
Résultats définitifs du premier tour.
Les deux finalistes en otage du FN ?
Le PS veut récupérer les électeurs du
FN.
La famille
centriste.
Bayrou
votera-t-il Hollande en 2012 ?
La fin de l’hypothèse Bayrou ?
Une excellente analyse qui n'a pas froid aux
yeux.
Lettre de François Bayrou aux deux candidats finalistes (25 avril 2012).
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/bayrou-et-maintenant-115528