Nous ne savons rien de ce départ qui ne partage rien
Avec nous. Nous ne devons ni haine,
Ni admiration, ni amour à cette mort, rien
Qu’une bouché de masque tragique
Etrangement déformé. Le monde est rempli encore
De rôles que nous jouons.
Tant qu’il nous importe de plaire, la mort
Jouera aussi son jeu même s’il ne plaît point.
Pourtant comme tu marchais, un rayon de réalité
Pénétra sur la scène, à travers cette faille
Par où tu t’en allais : vert d’un vert vrai,
Du vrai soleil, une vraie forêt.
Nous continuons de jouer. Récitant, inquiets,
Des choses apprises avec peine,
Cueillant des visages d’ici, de là ; mais ta présence
Si lointaine, arrachée à notre rôle,
Peut nous surprendre parfois, comme une connaissance
Qui sombre vers nous de cette réalité,
Au point qu’un instant, emportés par l’élan,
Nous jouons la vie, sans penser aux applaudissements.
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Rainer Maria Rilke (1875-1926) – Nouveaux poèmes (Neue Gedichte, 1907)