Les fantômes du delta (du Niger)

Publié le 25 avril 2012 par Arsobispo

Je viens de recevoir « Les fantômes du delta » le second bouquin d’Aurélien MOLAS.

Après donc « La Onzième Plaie » qui a été salué et récompensé à pléthore (Prix Polars Pourpres découverte 2010 – Prix raisin noir et Prix raisin noir des lycéens – Prix Sang pour Sang polar 2010), Aurélien Molas s’intéresse cette fois-ci à un thème qui me tient particulièrement à cœur. J’en parlais déjà, il y a de bien nombreux mois, dans l’une des mes notules. Les années passent. Rien de change dans le delta du Niger. Ou plutôt, tout se complique. En février dernier, France 5 diffusait un documentaire sur les raffineries clandestines, les trafics de pétiole en tout genre, les immenses dégâts sociaux et écologiques, qui vont d’ailleurs bien au-delà des rives du Niger. Mais, putain, l’Afrique on s’en fout. Alors que le pétrole… Franchement, y-a pas photo.

Visiblement A. Molas rejoint mes opinions, et ma colère sur le sujet. Il possède, lui, le talent d’en faire un roman, l’ardeur de la jeunesse d’aller au-delà du pâle crépuscule de notre démocratie et cette curiosité d’une génération dont la cour de récréation est le monde. Un truc assez épais que je n’ai pas encore pris le temps de lire. Je le mets tout en haut sur ma PAL, mais je suis déjà fort occupé avec d’autres lectures (et notamment toutes les nouvelles revues qui paraissent actuellement dont l’indispensable « L’IMPOSSIBLE », le nouveau (autre) journal de Michel Butel.

Aussi, comme je ne connais pas la forme littéraire de cet objet (pas trop mal maquetté), je me permets de joindre l’article de Bastien Bonnefous que « Le Monde » a publié dans son supplément « Le Monde des Livres » du 16 mars dernier. Une critique certes peu dithyrambique. Mais elle inspire la curiosité ne serait-ce que par le mélange des codes et leurs démolitions, et le respect d’un propos, taxé de naïveté que je préfère - dans ma pleine innocence - qualifier d’un enthousiaste émoi propre à une jeunesse trop souvent méprisée. A croire que je veux à tous prix défendre ce bouquin ! A voir, où plutôt à lire…

L'Afrique, bordel de merde !

La moiteur nigériane baigne l'ambitieux second thriller d'Aurélien Molas. Implacable

En 2010, Aurélien Molas créait surprise et sensation avec La Onzième Plaie (Albin Michel), un roman policier français certes imparfait, mais ambitieux et détonant sur fond de réseaux pédophiles et d'émeutes urbaines. Alors à peine âgé de 24 ans, ce scénariste pour la télévision et le cinéma (il a collaboré notamment à La Fille du RER, d'André Téchiné, sorti en 2009) signait un polar nerveux, dans la veine des livres de son aîné Jean-Christophe Grangé, mais en version plus politisée et engagée socialement.

Deux ans plus tard, ce jeune romancier né à Tarbes confirme l'essai avec Les Fantômes du delta, son second roman. Adepte d'une littérature inspirée du réel, Aurélien Molas quitte cette fois la rubrique des faits divers pour lorgner du côté des grands reportages à l'étranger. Pendant plus de 500 pages, il navigue sur les eaux noires du fleuve Niger, tirant le portrait d'une Afrique pleine de violence et de fureur. Juntes militaires, guérillas révolutionnaires, populations civiles prises en otage, ONG dépassées et multinationales prêtes à tout pour conserver la mainmise sur les richesses naturelles locales, à commencer par l'or noir...

Au centre de l'intrigue, une fillette, Naïs. Elle est dotée d'une particularité biologique quasi unique sur Terre, propre à susciter toutes les convoitises. L'enfant va se retrouver au centre d'une lutte sans merci pour le pouvoir.

A la fois plus psychologique et spectaculaire que son premier roman, ce Fantômes du delta est une fresque qui mêle le thriller, l'épopée et le roman d'aventures, et surprend une fois encore par sa radicalité - à la limite, parfois, de la naïveté - et par son goût de l'ailleurs, plutôt rares dans le polar hexagonal.

En quasi-journaliste, Aurélien Molas situe sa fiction entre 2003 et 2010 et s'appuie pour la bâtir sur des faits réels, comme un double attentat à Abuja, au Nigeria, en octobre 2010, ou la rupture, la même année, d'un oléoduc d'ExxonMobil dans le delta du Niger. Même la " particularité " biologique de Naïs est inspirée du cas véridique d'une jeune Américaine.

L'ambition du romancier français est noble : offrir au lecteur à la fois la beauté envoûtante et la folie de l'Afrique ajouté, à l'effet " page-turner " des meilleurs best-sellers. Comme si Joseph Conrad s'associait avec Stephen King. Mais à trop vouloir maîtriser le rythme et la construction du récit, il prend aussi le risque de verser dans un rendu mécanique. L'intrigue s'installe lentement et l'enchaînement systématique et effréné de très courts chapitres donne au final un roman structuré à l'excès. Si ses personnages peuvent perdre la raison dans la moiteur du delta du Niger, l'auteur maintient toujours le cap - non sans une certaine obstination. On en viendrait presque à regretter qu'il ne se laisse pas salir par la boue du fleuve.

Bastien Bonnefous

Les Fantômes du Delta, d'Aurélien Molas, Albin Michel, 528 p., 22 €.

© Le Monde

Pour en revenir au Delta du Niger, car l'affaire n'est toujours pas finie, regardez donc cet autre documentaire d'Arte, décidément une des rares chaines de TV qui méritent notre attention.

Le hasard fait que, ce soir même, une autre chaîne, Planète+ Thalassa diffuse "Le sang du Nigeria", le film de Philippe Lespinasse, Denis Bassompierre tourné en 2010 qui dresse un constat implacable sur cet "eldorado" pour les compagnies pétrolières, mais un enfer pour ses habitants qui ne tirent depuis plus d'un demi siècle aucun bénéfice des richesses du pays.