J’ai failli tomber à la renverse ce matin en lisant les pages « Opinions » du Figaro. Rassurez-vous, je n’ai pas enrichi M. Dassault de 1,30 €, il n’en a pas besoin. Et je n’avais pas envie qu’un exemplaire de plus vendu puisse conforter Etienne Mougeotte dans son choix d’un journalisme de cordonnier, où le cirage de pompes (mais les mocassins à glands et talonnettes uniquement) tient lieu de ligne éditoriale.
Je l’avoue, je l’ai lu caché derrière le présentoire, pris entre la peur qu’un ami me trouve avec « ça » dans les mains et la honte que l’honnête commerçant qui me fournit mon Libé quotidien et mon Alternatives Economiques mensuel pense que j’ai viré ma cuti.
Donc je feuillette Le Figaro et ses pages « Opinions » quand une lettre de Denis Tillinac attire mon œil. Je l’aime bien Tillinac, c’est un bon écrivain. Bien meilleur que moi en tout cas. Il a un côté rural, terrien qui me plaît bien également. Parfois ses idées me hérissent mais le personnage m’est sympathique. Et voilà qu’il écrit à Marine Le Pen. Qu’est-ce qu’un chiraquien « canal historique »‘ tel que lui peut bien avoir à dire à la candidate du Front National ? Un peu fébrile j’attaque ma lecture. Pour me rendre à l’évidence : la vieillesse ne fait pas que raidir les articulations, elle raidit aussi l’intellect et singulièrement les opinions. Tenez-vous bien, tenez-vous mieux dirait Desproges, Tillinac n’hésite pas à écrire que « nous sommes nombreux à dénoncer la bienséance pharisienne, cynique et fielleuse qui, depuis trente ans, traite vos amis comme des parias« . Des amis qui ont pour noms François Brigneau, ancien milicien disparu il y a quelques jours, co-fondateur puis co-président du Front National aux côtés de Jean-Marie Le Pen, ou encore Roland Gaucher, ancien du parti néo-fasciste de Marcel Déat (le RNP), Pierre Bousquet qui a été le premier trésorier du Front National et qui a été un serviteur zélé du nazisme au sein de la division SS Charlemagne. Je pourrais encore parler de Victor Barthelemy (LVF), de Léon Gautier (Waffen SS), d’André Dufraisse (LVF), de Thibaut de la Tocnaye…
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Je m’arrête un instant sur ce dernier personnage qui, pour reprendre la phraséologie de M.Tillinac, ne fait pas partie des « restes épars du pétainisme, de l’intégrisme de l’OAS et autres avatars des dictateurs européennes » même si son père Alain s’est distingué dans l’attentat du Petit-Clamart. Non effectivement, Thibaut de la Tocnaye n’est pas né dans les années 1920, il est né en 1958. Mais côté « intégrisme », pardon M. Tillinac mais ce sémillant conseiller régional FN en Provence-Alpes-Côtes d’Azur en connaît un rayon.
Professeur de mathématiques au lycée français de Beyrouth, M. de la Tocnaye a défendu les chrétiens libanais. Ce qui est respectable. Je l’ai fait également au nom de la liberté que chaque homme, chaque femme doit avoir de vivre sa religion. Mais si je pétitionnais, M. de la Tocnaye prenait les armes pour aller combattre aux côtés des phalangistes. Il a d’ailleurs « récidivé » en allant se battre aux côtés des Contras du Nicaragua puis des Croates lors de la guerre de Yougoslavie. Phalangistes, Contras, miliciens Croates… Des modèles de militants de la démocratie. Et ce Monsieur est membre du saint des saint du FN : le bureau politique et le comité central. Il est, en plus, coordinateur des CAP (Commissions d’Actions Politiques) et directeur du « pôle Etudes et Argumentaires » au sein du FN. Parions qu’avec lui les Actions comme les Arguments sont « frappants »…
Alors quand je lis sous la plume de Denis Tillinac que « jamais non plus je n’ai cru que votre parti représentait un danger pour la démocratie, la République, les valeurs humanistes etc« , je me dis que je suis fier de considérer les fondateurs et un certain nombre des dirigeants actuels du FN comme des parias. Et que je ne lirai plus jamais un roman de Denis Tilinac avec le même regard : nous n’avons pas la même conception de la démocratie, la même idée de la République, les mêmes valeurs humanistes… Charles De Gaulle, raté par les « devanciers » (dans tous les sens du terme) des nouveaux amis de M. Tillinac, le soulignait déjà dans Mémoire de Guerre – L’Appel : « La vieillesse est un naufrage ». Et M. Tillinac coule…