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Hollande, l’homme de la gauche caviar ?

Publié le 25 avril 2012 par Pslys

Nicolas Sarkozy dénonce une « gauche des élites » qui se détournerait du peuple, lequel serait passé à l’extrême-droite. Les résultats du premier tour montrent qu’il se moque du monde.

Il fustige « ceux qui habitent boulevard Saint-Germain », il veut représenter le peuple, il dénonce François Hollande comme le représentant de « la gauche caviar ». Pour rallier les suffrages du Front national, Nicolas Sarkozy ne se contente pas de reprendre le discours lepéniste sur l’immigration. Il se proclame le héraut des « sans-grade » contre « le candidat des élites », l’homme du peuple contre celui des importants.

Qu’y a-t-il de vrai dans cette rhétorique des années 1930 qui remet au goût du jour la veille distinction de Maurras entre « pays légal » – les élites républicaines – et le « pays réel » – les familles, les paroisses, les paysans et les ouvriers attachés à la terre de leurs ancêtres et à leurs traditions ? A vrai dire pas grand-chose.

On remarquera d’abord que celui qui invoque la France populaire a fait toute sa carrière de leader de droite comme maire de Neuilly, qu’il vit avec un mannequin richissime, qu’il habite le 16e arrondissement et passe ses vacances à quelques kilomètres de Saint-Tropez. Et que celui qui est censé incarner la gauche caviar est un élu de Corrèze au style sans apprêts et aux attaches provinciales. On remarquera encore que le premier récuse la réforme fiscale redistributive proposée par le second et que le soi-disant candidat du peuple est, au vu et au su de tous, lié aux sommités du CAC 40.

Le « peuple » serait passé à l’extrême-droite

Mais ce sont là détails biographiques. Il y a derrière les fariboles polémiques de Nicolas Sarkozy une idée très répandue, selon laquelle les socialistes seraient désormais les représentants de la « France d’en haut » tandis que la « France d’en bas », elle, serait passé avec armes et bagages à l’extrême-droite. Les bobos sont à gauche et les prolos chez Marine Le Pen. Patrick Buisson, l’éminence brune du président, ne dit pas autre chose quand il préconise d’aller « au peuple » pour gagner l’élection.

Comme cette tactique consiste pour l’essentiel à reproduire peu ou prou le discours du Front national, on voit qu’elle repose sur un postulat : le peuple, désormais, est par définition hostile à l’immigration, voué à une politique de sécurité musclée, allergique à un Etat-Providence accusé d’entretenir l’assistanat, c’est-à-dire de subventionner les paresseux. Le peuple ayant basculé à l’extrême-droite, il convient d’en faire autant.

Les clichés se heurtent à la réalité

L’ennui, c’est que l’examen des résultats du premier tour réfute ce diagnostic de manière spectaculaire. Gauche caviar ? Allons à La Courneuve, où les bobos, on l’admettra, ne sont pas légion. Hollande arrive en tête avec 47% des voix, devant Jean-Luc Mélenchon, 20%, et Nicolas Sarkozy, 13%; le FN y obtient 11% des voix.

Passons à Montbéliard, ville ouvrière liée à l’automobile : Hollande est à 32%, Sarkozy à 24% et Marine Le Pen à 19%. A Creil, ville également populaire : Hollande, 46%, Sarkozy 14%, Marine Le Pen, 17. A Vénissieux, banlieue de Lyon on se trouve la cité des Minguettes : Hollande 39%, Sarkozy 17%, Marine Le Pen 11%. Allons encore dans le Gers, le département le plus rural de France, ou bien en Bretagne-Nord, terre agricole où les bourgeois bohêmes sont plutôt rares : dans les deux cas, François Hollande dépasse les 30% et Marine Le Pen réalise son score moyen.

Comment une gauche bobo pourrait-elle réaliser de tels scores dans des endroits aussi populaires ? Il y a là un cliché répété à l’envi par toute une partie des commentateurs, qui ne résiste pas au simple examen des faits électoraux. Non, le peuple n’est pas passé en deux décennies au Front national. Non, la gauche ne représente pas, d’abord, les élites. Elle influence toutes les couches de la population, dans une alliance assez traditionnelle chez elle entre classes populaires, classes moyennes et cadres progressistes.

Gauche bobo ? Un pur préjugé

Ce qui est vrai, c’est le que Front national réalise des scores de plus en plus élevés chez les ouvriers (28%) et chez les employés (20%), comme le montre l’étude Viavoice-Libération publiée mardi. Mais il reste minoritaire. Dans ces deux catégories, le total gauche (Hollande plus Mélenchon), est nettement supérieur (38% et 44%) à celui de Marine Le Pen.

On a raison de s’inquiéter, d’un point de vue républicain, de la force de l’extrême-droite en milieu populaire. La concentration de l’immigration dans les quartiers populaires, l’insécurité, le chômage, la précarité et la stagnation du pouvoir d’achat qui frappent en priorité ces zones en sont les causes principales. Mais il ne s’ensuit pas que l’influence de la gauche a disparu. Bien au contraire, en dépit d’expériences gouvernementales souvent décevantes, elle reste fortement implantée en milieu ouvrier.

L’idée d’une gauche principalement « bobo » est un pur préjugé, véhiculé un peu partout à des fins idéologiques ou polémiques. Contrairement à l’idée reçue, en Seine-Saint-Denis,  François Hollande réalise un meilleur score qu’à Paris. En un mot, la gauche plaît aux bobos – on le voit dans la majorité des quartiers parisiens – mais aussi aux prolos.

Sarkozy se moque du monde

Bien sûr, il faudrait se livrer à une étude plus fine, pour distinguer dans les classes populaires diverses catégories particulières. Il est possible, par exemple, que les salariés bien intégrés au monde du travail réagissent différemment des précaires dont le nombre augmente sans cesse, ou encore que les ouvriers et les employés issus de la diversité ne votent pas comme leurs collègues. Peut-être constaterait-on que le score du Front national est très élevé dans telle ou telle sous-catégorie, ce qui conduirait à de nouvelles réflexions.

Mais une chose est sûre : en parlant d’une gauche « bobo » domiciliée à Saint-Germain-des-Prés, Nicolas Sarkozy se moque du monde. La gauche reste une force politique considérable dans les milieux populaires. C’est ce qui explique, d’ailleurs, l’échec du président sortant au premier tour. Et, pour l’anecdote, on remarquera que dans le 5e et le 6e arrondissement de Paris, la droite classique est nettement gagnante…  


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