Présidentielle 2012: une élection «animaliste»? UN ARTICLE DE LUCE LAPIN SUR LE SITE DE CHARLIE-HEBDO

Par Giraudet @dogiraudet

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LA PUCE DE LA SEMAINE

Présidentielle 2012: une élection «animaliste»?

Mis en ligne le mardi 24 avril 2012

Ils ressentent la faim, la soif, la peur, la douleur, mais n’ont ni la raison, ni la parole. Exploités, maltraités, gavés, broyés, harponnés, consommés, expérimentés, toréés, chassés, pêchés, piégés, électrocutés pour leur fourrure, emprisonnés dans les cirques, enfermés dans les zoos, les delphinariums, abandonnés, méprisés… NIÉS. À poils, à plumes ou à écailles: les animaux.
Considérés comme la dernière des minorités, faisant partie de la vie (égoïste) des humains (égoïstes), qui les mangent, revêtent leur peau, s’en «amusent», etc., il est normal et logique qu’ils fassent aussi partie de la scène politique. Si les animaux ne peuvent constituer un programme politique à eux seuls, en revanche, on ne peut en aucun cas prétendre élaborer un projet complet en les en excluant. C’est la première fois qu’ils sont aussi présents dans une élection, ici une présidentielle, et comptez sur ceux qui prennent vraiment en compte leur existence sur notre Terre pour que, au fil du temps, ce mouvement s’amplifie.
Dans le programme du FN, qui tente de plus en plus de récupérer la protection animale, figure la condamnation de l’inscription de la corrida au PCI, patrimoine culturel immatériel de la France. Mais ce n’est pas un scoop, la présidente du FN l’avait déjà exprimée. Tout comme elle s’était également déclarée pour l’interdiction de l’abattage rituel, ici pour les raisons que l’on connaît. Figure aussi, et là, c’est du nouveau, «la suppression définitive [mais sur plusieurs années] de l’alinéa 7 du code pénal écartant les coqs et les taurreaux [sic] des pénalités encourues par la maltraitance». Comment celle que je nomme affectueusement «ma» gauche a-t-elle pu laisser, par indifférence et surtout par manque de courage politique — hormis Les Verts de l’époque et feu leur remarquable « fiche D9 » de la présidentielle 2007 —, depuis si longtemps le FN s’engouffrer dans cette brèche qu’elle a elle-même ouverte ? Beau cadeau à l’extrême droite, ça fait des années que je préviens du danger. Personne n’a le monopole de la défense animale en politique, et surtout pas le Front national. À gauche, qu’on le prouve… et vite !
Marine Le Pen: mes amis… les flingueurs
Fi des apparences, grattons un peu pour laisser apparaître la vraie fille digne de son père. Car Marine Le Pen prouve par ailleurs qu’elle n’est pas l’amie des animaux qu’elle veut bien laisser accroire. Là où elle se démasque, c’est par un soutien total aux chasseurs (le FN ayant même son propre conseiller à la chasse) — 32 millions d’animaux massacrés chaque année. À Valenciennes, le 22 mars 2009, elle manifestait avec des élus FN aux côtés des chasseurs. Slogan: «NON à la dictature écologique». Plus récemment, le FN a apporté sa caution aux états généraux de la chasse à courre et de la chasse tout court (mi-février dernier). Au «Grand Journal» de Canal +, le 9 mars 2012, elle déclarait: «C’est pas parce qu’on aime le foie gras qu’on est obligé de s’intéresser à la vie du canard.» Et peu lui importe la souffrance de près de 37 millions de canards et 700000 oies qui subissent chaque année le gavage… Elle n’a pas non plus voté la directive européenne (juin 2010) sur le «bien-être» (guillemets indispensables…) du poulet de chair.
Autres candidats anticorrida: Nathalie Arthaud, Nicolas Dupont-Aignan et Eva Joly. Pour François Bayrou, Jacques Cheminade, François Hollande, Nicolas Sarkozy (Sarko aficionado), traditions et blablabla (et rien pour les animaux, d’une façon générale: ils n’existent pas). Philippe Poutou: en débattre au sein du parti. Jean-Luc Mélenchon: un vote du Parlement. On peut en discuter? En apéritif : Bayonne, saison 2010-2011, 400000 euros de déficit, payés par les contribuables — près de 1 million d’euros sur cinq ans. Félicitations au maire UMP, Jean Grenet.
L’hypocrisie en plus… et la mort en douce
«L’exemple portugais peut être médité. La tourada locale y garde une place tout à fait prépondérante; néanmoins la mise à mort y est interdite, le spectacle présentant un visage plus familial, moins brutal.» Telle est la dernière réponse (26 mars) du candidat socialiste à la présidentielle au CRAC Europe pour la protection de l’enfance. François Hollande a certainement été très mal informé sur le sujet. Sans nul doute, lorsqu’il aura pris connaissance de cette chronique, que je lui dédie, il prendra tout naturellement le chemin de l’abolition, aussi bien pour la corrida de muerte que pour la tourada. La gauche avec nous, du côté des plus faibles, humains comme animaux!  La corrida espagnole ne perdure que grâce aux touristes, français ou étrangers, qui s’y rendent «pour voir». Nombreux sont ceux qui, écœurés par ce spectacle d’un autre âge, n’y retourneront jamais. Malheureusement, cette unique fois contribue à alimenter la manne financière des organisateurs. Vous, lecteurs, n’êtes pas dupes, mais peut-être vous laisserez-vous convaincre d’assister à une corrida portugaise, puisque, vous assurera-t-on, la tourada se déroule sans mise à mort… dans l’arène. Une belle façon, détournée et malhonnête, de déformer la réalité. La portugaise, c’est la corrida version light — c’est du moins ce que l’on voudrait nous faire accroire. Le public y est supposé encore plus «familial»…
Ce que voient les enfants: un cavalier plante des farpas (banderilles à double harpon) sur le dos du taureau. À noter, important: le cheval n’est pas protégé par le caparaçon. Quand l’animal, profondément blessé, est épuisé par le sang perdu, huit hommes, les forcados, entrent en piste et l’immobilisent. Ça, oui, le taureau sort vivant de l’arène… mais dans quel état! Ce qu’ils ne voient pas: le bovin est ensuite amené dans les coulisses, où, dans le meilleur des cas, si je puis dire, il est achevé à coups de poignard. Le plus souvent, il agonise jusqu’au lendemain en attendant l’ouverture de l’abattoir. C’est beau, le «sens de la famille», qui consiste à emmener ses enfants assister à la mise en scène codifiée de la torture d’un herbivore magnifique torturé par des brutes machistes vêtues du ridicule habit de lumière et que ses tortionnaires prétendent aimer, au nom d’une tradition et sous un pseudo-alibi culturel. La culture, ce n’est pas cela. ¡La tortura no es cultura! La corrida? Ni espagnole, ni portugaise. Abolie!
À gauche, hormis les Verts en 2007, le mépris fut longtemps la seule considération qui était accordée aux animaux. Aujourd’hui, dans la lignée des Verts, Eva Joly «souhaite que le droit des animaux devienne un enjeu national afin que cessent les pratiques brutales, cruelles, indignes [qu’ils] subissent». La bonne autre position vient, ô agréable surprise, de la diffusion, le 28 mars dernier, de la «Réponse du Front de Gauche aux organisations de protection animale», dans laquelle «les êtres vivants sensibles ne peuvent être considérés comme des machines biologiques».
Place aux animaux aussi!
Je vais commencer par ce qui va le moins bien dans le programme de Jean-Luc Mélenchon. Grand silence sur l’abattage rituel, et là c’est catastrophique — ah, c’est si dur de se déclarer contre sans crainte de paraître raciste? L’abolition de la corrida, ce n’est pas gagné — pourtant les taureaux ne sont pas «des machines biologiques»… Attention à ne pas interdire que la mise à mort en public, on a vu que la corrida portugaise, prônée par François Hollande, est tout aussi cruelle, sinon plus. Mais la porte est grande ouverte, ne la refermons pas, puisque y est citée Martine Billard, ex-Verte, vice-présidente du Front de gauche et cosignataire de la proposition de loi abolitionniste n°2735. Tous les autres points ci-dessous sont à saluer: une (très) bonne volonté, sans doute aucun: sortir de l’élevage et de l’agriculture intensifs pour aller vers un mode d’élevage bio, fourrures ou peaux limitées au profit des cuirs végétaux, alternative végétarienne dans la restauration collective (éduquer les enfants à des goûts différents), désintensification de la pêche, méthodes substitutives pour l’expérimentation animale («directive REACH insatisfaisante»), CONTRE LA CHASSE À COURRE, le «déterrage empêché», pour la stérilisation (animaux errants et domestiques)… Interdite depuis longtemps en Allemagne, en Écosse, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, en Angleterre, aux Pays-Bas. François Hollande, entouré d’aficionados et de chasseurs, est à gauche le seul candidat à vouloir la conserver. Prochasse, procorrida, etc.: le PS obtient le premier prix d’insensibilité en matière de protection animale.
Dans son communiqué de presse du 4 avril, le Collectif pour l’abolition de la chasse à courre interpelle François Hollande: «Le PS sera-t-il le dernier parti “de gauche” à tolérer la chasse à courre?» Se sont effectivement prononcés contre: Nathalie Arthaud, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou. «F. Hollande reste donc le dernier candidat à se réclamer de la gauche sans s’être engagé pour l’abolition, bien qu’il ait admis “la brutalité” de ce mode de chasse qui “fait débat chez nombre de nos concitoyens”, comme il nous l’a écrit. Une poignée d’aristocrates et de capitaines d'industrie (0,001% de la population) reste accrochée à cette tradition archaïque alors que l’immense majorité des Français (79%) souhaite son abolition. François Mitterrand l’avait promise. Elle doit maintenant disparaître à jamais, comme dans la plupart des pays d’Europe.»
Certains candidats peuvent se déclarer contre certaines cruautés, comme la corrida, mais n’en avoir pas débattu dans leur parti — que ne l’ont-ils fait? —, donc ce sujet n’est pas traité dans leur programme. Exemple : Philippe Poutou. On est content de le savoir contre, mais quel intérêt… pour les taureaux? À propos de ce que nous, «anti», nommons «la barbarie tauromachique», j’en profite pour énoncer ce qui me paraît une évidence: son abolition n’est pas une priorité, mais une nécessité. Le fait que la corrida puisse encore exister verrouille toute évolution en termes de protection animale. Le jour où la torture et la mort données par arme blanche ne seront plus un «spectacle» pour lequel de sadiques pervers paient sera une immense avancée. Faisons sauter les verrous!
Après, c’est jamais
Il ne s’est évidemment pas agi, de ma part, de vous donner quelques «consignes» de vote que ce soit, mais juste quelques pistes — à gauche, bien sûr, à gauche toute. Dernière ligne droite ! Et non, on ne prendra pas en compte les animaux après qu’on se sera soucié des humains, ça, c’est des blagues qu’on nous raconte, car ceux qui se préoccupent des êtres sensibles ne peuvent pas les ignorer lorsqu’ils sont en souffrance. Nous partageons la même planète, ses richesses et ses manques. Ce ne sont «que» des bêtes, et alors? Elles aussi ont droit à notre empathie et à notre compassion. On attendait depuis longtemps qu’un(e) politique prenne, sans faux-fuyant, une position sur l’abattage rituel qui rende enfin possible d’en espérer la suppression. Déclaration d’Eva Joly à Néoplanète (26 mars): «Des solutions existent et sont déjà pratiquées par certaines institutions religieuses, et c’est par le dialogue qu’elles se généraliseront, pour aboutir en pratique à la fin de l’abattage sans étourdissement.»
Si vous, lecteurs de gauche, souhaitez naturellement prendre en compte humains ET animaux, vous avez la possibilité de l’exprimer. C’est cela, le vote utile, et c’est maintenant. Aux urnes, citoyens humanistes!
•  www.abolitionchasseacourre.org
•  www.politique-animaux.fr
•  www.les-taureaux-voteront.com
•  www.patrimoine-corrida.fr
• http://www.placeaupeuple2012.fr/reponse-du-front-de-gauche-de-la-planification-ecologique-aux-organisations-de-protection-animale/
Luce Lapin
21 avril 2012
lucelapin@charliehebdo.fr

• À LIRE dans «Les Puces» du journal (Charlie Hebdo du 25 avril 2012). «Les religions pataugent dans le sang des hommes et des animaux. […] quand les autorités administratives», de droite ou de gauche, «auront-elles le courage d’interdire ces pratiques répugnantes?» Extraits de quelques écrits du regretté journaliste écologiste de Charlie, Xavier Pasquini, mort d'une crise cardiaque le 25 mars 2000. Douze ans et trois présidentielles plus tard, il nous manque toujours autant.
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