Délits d’Opinion : les sondages se sont-ils trompés ?
Emmanuel Rivière : Contrairement à ce que des gens peuvent écrire par mauvaise foi ou fainéantise, les sondages ne se sont pas trompés. En tous cas pas les nôtres. Concernant Marine Le Pen d’abord – toutes les données sont disponibles sur notre site http://www.lelab2012.com – notre dernière enquête la situe à 17% et dans une tendance haussière. Elle finit à 17,90%. Il semble donc difficile de parler objectivement d’erreur.
On ne peut pas non plus parler « de ratage » concernant Jean-Luc Mélenchon. TNS Sofres l’évalue à 16%, 10 jours avant le premier tour. Il tombe à 13%, 3 jours avant le premier tour. Dans notre dernière note d’analyse, nous écrivons noir sur blanc que le candidat du Front de Gauche est en nette chute. Les résultats confortent donc notre scénario d’une bulle concernant Jean-Luc Mélenchon, du même acabit que celle créée autour de François Bayrou au début de la campagne, ou jadis avec Jean-Pierre Chevènement en 2002. Concernant Jean-Luc Mélenchon elle se produit beaucoup plus tard dans la campagne et ne résiste pas à une logique de vote utile qui est la première motivation des électeurs de François Hollande
Ce reproche adressé « aux sondages » et dont nous estimons qu’il ne s’applique pas à TNS Sofres ne résulte pas uniquement d’un manque de discernement. C’est aussi un effet de rhétorique. Le camp du président sortant avait besoin que le premier tour constitue une surprise pour provoquer une nouvelle donne. En réalité, quand on regarde les chiffres, il n’y a pas eu de réelle surprise, mais une poursuite de l’érosion du total de la gauche qui ouvre un peu le jeu.
Délits d’Opinion : Quels est votre grille de lecture de ce scrutin ?
Emmanuel Rivière : Nous avons une gauche radicale qui atteint près de 13%. L’extrême droite se situe pour sa part à 18%. On est précisément dans une configuration qui a déjà existé : celle du 21 avril 2002. Sauf que cette déclinaison de 2002 se combine avec une autre logique, puissante, de vote utile. C’est très net à gauche, en raison du mauvais souvenir de 2002, quand les électeurs de gauche traumatisés ont dû se résoudre à voter pour Jacques Chirac. Ce vote utile a évité un 21 avril bis. A droite, c’est la maîtrise des candidatures concurrentes qui offre un paysage dégagé à Nicolas Sarkozy et écarte le danger de 21 avril inversé. L’ingrédient commun avec 2002, c’est donc la poussée de la gauche radicale et de l’extrême-droite. Les deux ingrédients différents (mais commun avec l’élection de 2007) résident dans la plus faible abstention en 2012 et la force des partis de gouvernement. Le premier tour de 2012, c’est le 21 avril plus le vote utile.
L’absence d’autres candidats à droite était-elle une bonne chose pour Nicolas Sarkozy ?
La rhétorique du « seul contre tous » fait un peu sourire car Nicolas Sarkozy n’aurait pas eu beaucoup d’efforts à faire pour disposer autour de lui de candidatures mieux disposées à son égard. Mais il est vrai que cela le prive de rabatteurs, et de la dynamique que créent les ralliements dès le soir du premier tour. Cependant, s’il avait eu un concurrent sérieux, il y avait un réel risque que ce concurrent le mette à portée de Marine Le Pen, voire le supplante en cours de campagne. Le fait d’être à l’exception de Nicolas Dupont-Aignan le candidat quasi unique de la droite était aussi une condition indispensable pour sortir en tête du premier tour et créer une dynamique. Tactiquement c’était sans doute le meilleur choix, mais cela n’a pas fonctionné.
Délits d’Opinion : Est-ce que le match est plié ?
Emmanuel Rivière : C’est compliqué de dire que les choses sont finies avant qu’elles n’aient eu lieu, et imprudent quand l’électorat que nous avons le plus de mal à cerner pèse 18%. Mais si rien de décisif ne se produit dans les 10 prochains jours oui, le match est plié. Et au cours des trois derniers mois si riches en événements rien ne semble avoir été assez décisif pour contrecarrer le scénario de la victoire du candidat socialiste.
La victoire de Nicolas Sarkozy supposerait une nette amélioration des reports en sa faveur des électeurs de Marine Le Pen et de François Bayrou si l’on tient pour acquis les bons reports de voix des électeurs de Jean-Luc Mélenchon vers François Hollande. Pour être précis le président sortant doit obtenir 70% des voix de Marine Le Pen, alors qu’aujourd’hui seule la moitié se reporte sur lui. Et il devrait également grignoter encore des voix au sein des électeurs de François Bayrou, pour faire passer ces reports du tiers à la moitié. L’exercice est peu aisé, car il s’agit de deux électorats qui ne privilégient pas les mêmes thèmes, qui ne partagent pas les même valeurs, ni les mêmes profils sociologiques.
Dans ce contexte, on ne voit pas très bien quel peut être le message fédérateur. D’autant qu’il reste peu de temps pour convaincre un électorat FN qui attend des réponses claires et n’est pas un consommateur assidu des émissions politiques. Pour rattraper en 11 jours son important retard Nicolas Sarkozy doit parler haut et fort, et trouver les messages qui rassemblent les deux électorats dont il a besoin. Difficile.