En forgeant qu’on devient forgeard ?…

Par Borokoff

A propos de Réussir sa vie de et avec Benoît Forgeard

Un réalisateur fauché, joué par Benoît Forgeard lui-même, reçoit la visite des personnages de ses propres films dans un bureau transformé en plateau télé ou en cabinet de curiosités…

Réussir sa vie est un enchevêtrement habile de trois courts-métrages entrecoupés par des interludes dans lesquels Benoît Forgeard se met lui-même en scène pour décrire le processus artistique de ses films et y ajouter des commentaires, un peu à la manière d’un pastiche d’émission littéraire teinté d’ironie et d’autodérision.

Dans l’univers burlesque et toutes les références que cite cet ancien élève des Beaux-arts de Rouen et du Fresnoy, on pense en vrac au réalisateur de Steak, Quentin Dupieux, aux Nuls, à l’émission Centre de visionnage qu’Edouard Baer animait sur Canal +, mais aussi à des artistes contemporains comme Pierrick Sorin (et ses fameux hologrammes) ou Stéphane Bérard.

Les références télévisuelles très « canalplusiennes »  et à la culture populaire abondent dans ces films dépourvus de moyens mais compensés par un imaginaire prolifique, comme l’atteste son court métrage Fuck UK avec Gaspard Proust, produit par Canal + justement.

Le surréalisme des films de Forgeard est à entendre dans un sens buñuelien, avec cette idée que c’est « l’image (qui) précède la pensée » comme l’acteur et réalisateur l’a expliqué dans une interview. Cette manière de reprendre des images pour leur faire dire d’une manière complètement désinvolte et absurde ce que l’on veut est un principe qui prévalait dans une émission comme Message à caractère informatif (encore sur Canal) auquel Réussir sa vie fait souvent penser.

Mais si Forgeard pousse aussi loin le surréalisme et l’absurde, c’est pour mieux critiquer par exemple la bêtise des publicitaires dans La course nue (2006), où une jeune femme se voit proposer par le patron d’une marque de téléphones mobiles un contrat « juteux » en échange de son accord pour courir nue sur la pelouse du Stade de France pendant la coupe du Monde 2006.

Dans Belle-Ile en mer (2007), l’absurde vire au « nonsense ». Deux vendeurs d’alarmes industrielles – dont l’un est joué par Darius, acteur récurrent voire fétiche de Forgeard qui jouait dans L’Humanité (1999) de Dumont – atterrissent sur une île bretonne et tentent désespérément de vendre leur produit à un patron de bar-restaurant qui ne les écoute pas. Par la suite, les deux hurluberlus se fâchent et se séparent. Le plus jeune atterrit dans la propriété d’Alain Souchon (pas du tout ressemblant) qui tente de l’initier à la musique en lui racontant qu’il a donné comme noms aux maisons de l’île les titres des ses chansons !

Mais l’univers complètement loufoque, pour ne pas dire « barjot » de Forgeard, qui pose dans ses intermèdes avec un foulard de dandy et une moustache à la Super Mario, cache des choses et une pensée plus intimes, plus profondes qu’il n’y parait.

Le point commun de ces trois fictions est le combat que mènent ces personnages pour s’en sortir. Ce sont des gens prêts à tout pour changer de vie, sauf peut-être dans L’antivirus (2010), où un informaticien incompétent (joué par Forgeard lui-même) est incapable de réparer l’ordinateur d’une étudiante dont il tombe plus ou moins amoureux alors qu’elle a perdu toute sa thèse sur Baudelaire.

Dans ce dernier court-métrage, le plus réussi, les incrustations en 3D donnent aux décors de la Fac un côté irréel. Les relations humaines paraissent quant à elles désincarnées, grinçantes, dans un monde contemporain abruti par les réseaux sociaux et les retrouvailles virtuelles d’anciens copains sur Facebook.

Forgeard, moraliste ? Peut-être. Mais si sa critique en forme de farce sur la société n’est pas toujours très aboutie, encore à ses prémices, c’est justement parce qu’elle est  l’œuvre d’un bricoleur de génie…

http://www.youtube.com/watch?v=xeK0-sZG66Y

Film français de Benoît Forgeard avec Benoît Forgeard, Darius, Anne Steffens, Alka Balbir… (01 h 24).

Scénario de Benoît Forgeard :

Mise en scène :

Acteurs :

Dialogues :

Compositions de Jean-John Léonard et d’Emiliano Turri :