Ryanair marque le pas, suscitant la perplexité.
Décidément, Ryanair pratique remarquablement bien l’art de déstabiliser analystes financiers et observateurs de tous bords : ses derniers chiffres sont très moyens, sans que l’on sache ce qu’il convient d’en penser. En mars, en effet, avec 5,5 millions de passagers, son trafic a reculé de 4%. Mais il pourrait s’agir tout simplement du résultat de la mise au sol provisoire de 80 avions pendant la basse saison, une manière de faire tout à la fois inédite et radicale.
Il y a quelques jours, la compagnie low cost irlandaise a mis en vente un million de places soldées à moins de 11 livres, les réservations devant obligatoirement correspondre à des voyages à effectuer en mai et juin. Une méthode spectaculaire de «réamorcer» le marché, à condition qu’il en ait besoin.
La perplexité des experts est exacerbée par un nouveau regard aux statistiques de trafic de 2011 : 76 millions de passagers, avec un coefficient moyen d’occupation des sièges de 82%. Ce qui est évidemment un très beau résultat, à pondérer par le constat que ce volume de trafic correspond à une progression de 5% seulement. Pourquoi «seulement» ? Parce qu’il s’agit là d’une croissance «type IATA», très correcte mais bien peu spectaculaire pour la «lowest-fare airline». Simple pause ? Passage à vide ? Amorce d’un tassement durable de la croissance ? Chacun, provisoirement, répondra à ces questions en fonction de ses convictions profondes.
L’establishment y verra sans doute une première preuve que les statistiques ne montent pas jusqu’au ciel. Et il se trouvera bien un analyste pour affirmer que le modèle économique low cost tient de la fuite en avant, qu’il ne fonctionne qu’à condition de maintenir un taux de croissance à deux chiffres qui ne peut certainement pas être considéré comme éternel.
En élargissant la tentative d’analyse, on constate que c’est l’ensemble du secteur low cost européen s’est en quelque sorte assagi. En 2011, les compagnies membres du groupement professionnel ELFAA ont transporté 188,8 millions de passagers, une progression de 9,5% «seulement». Mais cette tendance moins spectaculaire demande à être considérée avec prudence, la basse conjoncture ayant frappé tous les acteurs et, Ryanair mise à part, certains intervenants ayant choisi d’infléchir leur manière de faire. A commencer par EasyJet, numéro 2 du secteur, qui accorde plus d’importance que précédemment à l’obtention d’une rentabilité exemplaire et, pour ce faire, évite de brûler les étapes.
Ryanair, difficile à suivre en raison des incessantes déclarations à l’emporte-pièce de Michael O’Leary, son vibrionnant directeur général, reste un exemple du genre. En effet, le montant moyen de la recette par passager est restée l’année dernière de 40 euros. Dans le même temps, hors carburant, les coûts directs d’exploitation ont reculé de un p.c., preuve de l’attention qui prévaut, qui ne se relâche à aucun instant et qui permet de maintenir les grilles tarifaires à un niveau totalement hors de portée de la concurrence «classique».
La confiance dans l’avenir de Michael O’Leary est apparemment intacte. La flotte, 283 avions actuellement, passera bientôt le cap symbolique des 300 et il est probable qu’une commande importante soit signée, à une date non précisée, pour permettre une nouvelle étape de croissance mais aussi déclasser les appareils les plus anciens. Une flotte très jeune constitue, en effet, un élément d’efficacité.
De temps à autre apparaît une brève allusion aux contacts maintenus avec le constructeur chinois Comac. D’où une autre raison de perplexité, l’éventualité d’une commande massive de C919 qui constituerait un événement majeur, un coup dur pour Airbus et Boeing. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Pierre Sparaco - AeroMorning