25 avril Majorette 2/4 - Nouvelles de demain 20 Février. Les bottes blanches se noient dans la neige. Le chef a autorisé les mitaines, mais, par -5°C les doigts sont tout de même gourds. Sandra a déjà ramassé deux fois son bâton sur la tête. Le carnaval en mars, au Brésil d'accord ! mais à Limoges, pourquoi ne se déroule-t-il pas en juillet ? Un avion déchire le ciel bleu acier. Sandra a le sourire givré. Si les passagers regardent en bas, ils verront des tâches rouges s'agiter sur un lit blanc. Une gigantesque coccinelle en négatif… Le zef siffle, le chef est un ancien militaire il ne veut voir qu'une tête… Le cri qui devrait être strident du minuscule instrument reste figé dans sa cage de métal qui colle aux lèvres du boss. La boule de bois qu'est dedans fait la grève du gel. En ligne ! hurle-t-il ! Même les prostituées se sont mises aux intempéries… Seules une ou deux filles de l'Est habituées rentrent épuisées dans leur taudis. Sandra s'est pris les pieds dans ses bottes, a chu lourdement sur le goudron glacé, a troué son bas résille. L'a-t-elle fait exprès ? Le manager adjoint, un gentil garçon qu'a le tort d'être fils de militaire, lui maquille le genou écorché au mercurochrome. Sandra, dix-sept ans, l'aime bien, mais un peu comme toutes les filles du groupe. Faut pas tout mélanger, amour et défilé… Midi, c'est la pause casse-croûte, elles restent debout de peur de coller au banc. Maman a préparé un sandwich au chorizo. La dernière fois Sandra avait râlé, maman avait mis de l'ail, bonjour l'haleine. Une banane, et une barre de chewing-gum. Aimerait bien boire le café brûlant que le chef dégaine de son thermos, mais n'ose pas demander… Le chef a dégelé son sifflet et les filles engourdies rejoignent les rangs. 22 février : Sandra part à l'école avec son cartable rouge et blanc. A dix-sept ans elle n'a jamais connu d'homme et prépare un BEPA couture. C'est pas qu'elle soit passionnée, mais le lycée n'est pas loin de l'arrêt de bus. Si elle obtient son examen, papa, chômeur, lui a promis de lui payer un scooter avec l'argent qu'il se gagne au noir. En attendant, elle coud sans passion, la langue entre les dents, et en bave avec les mathématiques. Les maths n'ont jamais été son fort et papa et maman, n'ont pas le niveau ni les moyens pour l'aider. C'est pas qu'elle soit une mauvaise élève, elle ne fout pas le souk en histoire géo, comme une bonne partie de la classe avec une jeune professeur débordée. Lorsqu'elle se réfugie en salle des profs l'enseignante parle de suicide la larme à l'œil, mais les autres ont leurs problèmes, et si elle le dit elle ne le fera pas. Elle l'a fait, ne s'est pas loupée du troisième étage. La télé régionale est venue en reportage, le personnel, navré parlait de problèmes familiaux antérieurs, les faux derches. Sandra, interrogée n'a rien dit, ou presque, mais en avait gros sur le cœur. Elle aimait bien cette femme fragile, et elle était une des rares à apprécier ses cours. Représentant la classe à l'enterrement, sa mère a eu l'idée de l'habiller en majorette. Elle a eu beau lutter, elle était la seule en vermillon au milieu d'une petite foule noire et éplorée. Elle jeta une rose rouge, qu'on avait distribuée à l'entrée du cimetière, et partie, honteuse, dans les premières. A suivre... demain !
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